Une start-up genevoise veut révolutionner la mobilité maritime

En résumé

Tout le parcours de l’ancien navigateur Alain Thébault, fondateur de la start-up genevoise The Jet, est synonyme de dépassement. Après avoir conçu l’hydroptère et les Seabubbles, il travaille actuellement sur le premier jet à propulsion hydrogène, toujours destiné à naviguer sur l’eau.

«L’utilisation de l’hydrogène m’a été suggérée par l’explorateur français Jean-Louis Etienne, avec qui je suis ami», indique l’ancien matelot d’Eric Tabarly. L’appareil à l’allure futuriste comptera trois hydrofoils, des ailes utilisées sur les voiliers de compétition, positionnées et profilées afin d’engendrer une force de portance qui agit sur la vitesse et la stabilité sur l’eau. Le jet pourra voler à quatre-vingts centimètres de hauteur grâce à la propulsion de deux piles alimentées à l’hydrogène dite renouvelable, d’où son surnom de «Bentley verte de la mer». «C’est à partir de ces piles à combustible que j’ai conçu le jet», explique son fondateur. «Pour garantir que notre énergie soit renouvelable, nous nouons des partenariats avec des entreprises qui produiront de l’hydrogène par électrolyse grâce à de l’éolien ou du solaire», complète Pascal Armoudom, CEO de The Jet. Chaque appareil comptera deux piles, car «50% de l’énergie totale est consommée par la climatisation». Avec une seule pile, il aurait fallu faire un choix entre la vitesse et la climatisation, selon Alain Thébault.

Le bateau volant pourra accueillir à son bord huit à douze passagers, en plus du pilote, et sera commandé par un logiciel de contrôle automatique. Il proposera un «vol» silencieux, propre et sans formation de vagues dans son tracé. Chaque jet comportera un dispositif hypersustentateur, identique à celui des avions, pour contrôler sa vitesse. Elle oscillera de dix-huit nœuds (trente-trois kilomètres à l’heure sur l’eau) au décollage à quarante nœuds (septante-cinq kilomètres à l’heure sur l’eau), sa vitesse de croisière. «C’est une vitesse de départ, nous pourrions aller plus vite toujours sans produire de vagues ni de pollution», assure le fondateur de l’entreprise.

DUBAÏ AVANT LE LÉMAN

Le jet sera destiné aux établissements du luxe et à certains particuliers fortunés. L’objectif est de le lancer officiellement à Dubaï, lors du sommet international sur le climat (COP 28), prévu en novembre 2023. Le lieu de lancement n’a pas été choisi au hasard. La ville dispose d’un environnement commercial et économique adapté au projet, ainsi qu’une situation géographique «avec des conditions climatiques et topographiques idéales et des eaux calmes sans creux importants», pour reprendre les mots de Pascal Armoudom.

Son positionnement vis-à-vis des industries du futur a également joué sur le choix. En outre, Dubaï souhaite rendre 75% de ses sources d’énergie propres d’ici à 2050, d’où l’intérêt prononcé pour le projet d’Alain Thébault. Début 2022, l’entité genevoise a signé un partenariat avec l’entreprise Zenith Marine service et le fonds DWYN, basés à Dubaï, pour opérer l’appareil localement. Cet accord a aidé à initier la levée de fonds en cours, dirigée par Mazars Switzerland. La fabrication des premiers exemplaires commencerait dès l’automne 2022. «Ils seront produits en Europe», assure Pascal Armoudom. L’entreprise n’a pas souhaité communiquer sur sa production annuelle, ni sur le coût unitaire d’un jet. 

Après ce lancement, le jet sans émission devrait naviguer sur les bords de mer européens. L’axe Monaco-Nice-Saint-Tropez est ciblé dans un premier temps. Ayant déjà eu le soutien de la fondation Prince-Albert-II-de Monaco, Alain Thébault espère avoir celui de la nouvelle première ministre française, Elisabeth Borne, avec qui il entretient de bons contacts, pour permettre à son jet de voler sur la Méditerranée. Les rivières et les lacs les plus prestigieux au monde, dont le Léman et celui de Zurich, sont aussi visés. «Il nous fallait un point de départ, mais nous souhaitons naturellement que notre jet soit commercialisé en Suisse et puisse naviguer sur les lacs du pays», affirme le CEO. Alain Thébault révèle aussi qu’une entreprise suisse de renom serait prête à en acquérir pour faire des liaisons Vevey-Genève.

Une version plus grand public du jet, baptisée liner, est envisagée après l’aboutissement du projet actuel. Elle reprendra le même procédé de navigation que le jet et pourra transporter jusqu’à trente personnes. Sa vitesse de décollage sera de douze nœuds (vingtdeux kilomètres à l’heure) et sa vitesse de croisière de vingt-cinq nœuds (quarante-six kilomètres à l’heure). La start-up souhaite mettre ce liner à la disposition d’un public élargi, via des partenariats avec les collectivités locales et les gouvernements. Cependant, cela ne sera pas une priorité pour l’entreprise à court terme, même si le modèle est visible et affiché sur son site. «Pour l’instant, nous avançons pas à pas et sommes concentrés intégralement sur le jet», dit Pascal Armoudom.

Alain Thébault, déclencheur d’une révolution technologique

A tout juste 21 ans, sans diplôme, Alain Thébault rencontre Éric Tabarly sur la transat Les Bermudes-Lorient. Le célèbre navigateur est conquis par les qualités humaines et entrepreneuriales de son jeune matelot. Ils développent ensemble l’hydroptère, un voilier futuriste, avec l’aide d’ingénieurs de Dassault Aviation. Alain Thébault allie les techniques de pointe de l'aéronautique, domaine dont il est un passionné, et celles du génie maritime.

L’hydroptère vole pour la première fois en 1995. Le trimaran peut atteindre 35 nœuds (65 km/h) à l’aide d’hydrofoils. En 2009, soit onze ans après le décès de son mentor et après plusieurs modifications du projet initial, le Français réalise le record mondial de vitesse à la voile en atteignant les 51,36 nœuds (95 km/h) avec ce voilier. Le procédé des hydrofoils sera ensuite largement repris par les concepteurs de bateaux de compétition. Sept ans après ce record, Alain Thébault se lance dans l’aventure Seabubbles. Comme pour l’hydroptère, une histoire humaine se cache derrière cette deuxième innovation. «Après avoir réalisé ma traversée de Los Angeles à Hawaï en hydroptère en 2015,mes filles m’ont dit «ce que tu viens de faire ne sert à rien». Elles ont ajouté que je ferais mieux d’utiliser mes compétences pour trouver un moyen de désengorger les villes. Ce fut un électrochoc», confesse Alain Thébault.

Les premiers Seabubbles, pouvant accueillir à leur bord un pilote et quatre passagers, naviguent sur le Léman et la Seine dès 2018 sans émettre d’émissions, toujours en utilisant des hydrofoils propulsés. Ces derniers ne sont plus portés par le vent, mais par des batteries électriques. Néanmoins, Alain Thébault constate que cette idée du tout électrique reste difficile à mettre en place. «C’est bien pour une voiture, mais pour un bateau, cela pose des problèmes en termes d’autonomie et de temps de charge», rapporte-t-il. En 2021, l’ancien navigateur cède Seabubbles et fonde Bubblefly, puis The Jet, une start-up basée à Genève. L’objectif reste le même: proposer une solution de transport maritime sans émission. Les exemples de Tesla dans l’automobile et de la start-up française SHZ advanced technologies dans l’aviation inspirent l’entreprise. Ils font naître l’idée que quelque chose de comparable doit être fait pour la mobilité maritime. Avec son jet zéro émission, la start-up genevoise et son fondateur veulent être les déclencheurs d’une révolution sur l’eau.