Prime à la productivité: vacances et semaine de quatre jours

En résumé

Depuis la sortie de crise liée à la pandémie, une forte pénurie de main-d’œuvre se fait ressentir en Suisse et les employeurs doivent redoubler de créativité afin d’attirer les talents au sein de leur entreprise. La semaine de quatre jours est régulièrement évoquée comme étant un des outils à leur disposition. Elle fait débat, notamment quant à son articulation autour de la question de la productivité.

La présente contribution ne vise pas à trancher ce débat, mais à offrir des pistes de réflexions juridiques aux employeurs dans le cadre de négociations avec leurs employés ou candidats. Comment concilier les impératifs de productivité, notamment liés à la forte concurrence à laquelle sont soumises les entreprises, avec le souhait de certains employés de bénéficier de plus de temps libre? Comment s’approcher d’une semaine de quatre jours tout en limitant le risque économique pour les employeurs?

LA PRODUCTIVITÉ ET SON RAPPORT AU TEMPS

Dans la majorité des cas, la principale condition permettant aux employeurs d’instaurer une semaine de quatre jours sans diminuer le salaire des travailleurs est de s’assurer que la productivité ne s’en trouvera pas réduite ou, à tout le moins, qu’elle se maintiendra à un niveau suffisant. Cela implique inévitablement une productivité horaire plus élevée1 , à l’exception d’éventuels secteurs ou entreprises qui pourraient se permettre de réduire leurs marges sans mettre en danger leur activité.

Notons d’emblée que cette augmentation du taux de productivité horaire semble difficilement réalisable dans certaines activités comme la coiffure, la restauration ou la vente en magasins. La mise à disposition d’un certain temps de travail est un élément prédominant dans ces secteurs, sauf à considérer une péjoration du service offert2 .

Il est tentant de succomber à l’idée que le temps libre supplémentaire offert aux employés grâce à l’instauration d’une semaine de quatre jours conduirait à une meilleure conciliation entre vies privée et professionnelle et que la satisfaction des salariés se répercuterait ainsi directement sur leur productivité.

L’équation n’est pas si simple et l’absence de garanties quant à cet effet vertueux rend pour les entreprises le pari risqué d’un point de vue économique. En effet, un retour en arrière après l’instauration d’une semaine de quatre jours s’avèrerait complexe, puisqu’il ne pourrait se faire que moyennant l’accord des employés concernés, en procédant à un congémodification. Les pertes économiques engendrées par un échec de ce modèle seraient certainement irrécupérables.

Par conséquent, comment s’assurer qu’une semaine de quatre jours permettrait aux entreprises de conserver une productivité suffisante, sans devoir augmenter le prix de leurs biens et services?

VACANCES: BASE DE TRAVAIL

Pour rappel, selon l’article 329a alinéa 1 CO, «l’employeur accorde au travailleur, chaque année de service, quatre semaines de vacances au moins et cinq semaines au moins aux travailleurs jusqu’à l’âge de 20 ans révolus». Certaines conventions collectives ou certains règlements du personnel prévoient un droit aux vacances plus élevé pour l’ensemble des employés ou pour ceux atteignant un certain âge ou une certaine ancienneté au sein d’une entreprise.

À notre sens, la liberté contractuelle offerte par le droit suisse permet l’instauration d’une prime ou d’un bonus sous forme de temps libre, c’est-à-dire l’octroi d’un droit à des vacances supplémentaires dépassant les minimas légaux et conventionnels.

Les employeurs pourraient, par exemple, conditionner le droit à un nombre de jours de vacances supplémentaires à des résultats individuels déterminés, tels que la réalisation d’un certain chiffre d’affaires sur une période donnée (par année, par semestre, etc). Il est également envisageable de prévoir une prime mixte, mêlant des jours de vacances supplémentaires au paiement d’un supplément de salaire en espèces, voire même de laisser le choix à l’employé de bénéficier des jours de vacances supplémentaires ou de son équivalent en argent.

La mise en place d’une telle prime à la productivité implique une gestion et une organisation rigoureuses des dates de vacances des différents employés, en particulier si ces derniers utilisent de tels congés supplémentaires en vue de raccourcir leur semaine de travail, se rapprochant d’une semaine de quatre jours, plutôt que de prendre les jours engrangés de manière groupée. Afin de déterminer le nombre de jours de vacances supplémentaires qu’il serait en mesure d’offrir en fonction des objectifs réalisés, l’employeur tiendra compte du coût en productivité engendré par les jours de vacances supplémentaires. En effet, ils représenteront par définition une baisse des heures travaillées l’année suivante.

Il faudra prêter une attention particulière à la rédaction des clauses contractuelles. Elles devront notamment permettre une compréhension claire et univoque des objectifs donnant droit à des jours de vacances supplémentaires. L’employeur veillera également à discuter avec ses salariés du choix des jours, selon les impératifs de l’activité. L’adoption de règles contractuelles visant à régler cette problématique se devra d’être suffisamment flexible pour l’employeur, tout en conservant le but octroyé à l’employé: bénéficier d’une semaine de quatre jours. À ce titre, rappelons que, selon la loi, «l’employeur fixe la date des vacances en tenant compte des désirs du travailleur dans la mesure compatible avec les intérêts de l’entreprise ou du ménage» (art. 329c al. 2 CO).

CONCLUSION

La semaine de quatre jours peut être un moyen d’attirer les talents au sein des entreprises. Les inquiétudes des employeurs quant aux coûts en productivité et aux conséquences économiques sur leur activité sont parfaitement légitimes.

Comme souvent, la liberté contractuelle offre des solutions intéressantes afin de concilier, d’une part, les besoins en productivité des entreprises et, d’autre part, les attentes des employés quant à leur temps libre. Les primes à la productivité sous forme de jours de vacances supplémentaires peuvent représenter un premier pas vers une semaine de quatre jours, tout en limitant le risque de porter atteinte aux impératifs de productivité propres à chaque entreprise.


  1. economiesuisse, La semaine de quatre jours est-elle la panacée?, 26.07.2022, www.economiesuisse.ch/fr/articles/la-semaine-de-quatre-jours-estelle-la-panacee.
  2. Ibidem