La collaboration avec les robots s’imposera aux travailleurs dans une mesure plus large que prévue

En résumé

Ces derniers mois, on a davantage entendu parler de robots humanoïdes que d’intelligence artificielle. Ces robots sont non seulement dotés de fortes capacités d’apprentissage, mais ils sont désormais capables d’expressions, voire de comportements humains imités de manière très troublante. Cela renforce leur capacité à supplanter l’humain dans de nombreux emplois. Avec quelles conséquences? Une étude, fruit d’une collaboration entre l’Université de Lausanne et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, se penche sur ces questions. Elle établit un classement des professions selon les risques encourus à court ou à moyen terme, tout en proposant, grâce à des algorithmes, des pistes de réorientation. Le récent The Future of Work Summit 2022 du Graduate Institute Geneva a proposé un débat qui a réuni professeurs et étudiants sur ce sujet dans l’air du temps

Un peu ralentie par la pandémie, la robotisation s’est accélérée dans de nombreux secteurs. Il se pourrait même que l’expérience sanitaire accélère le développement de nouvelles missions où la sécurité doit primer, comme la distribution de biens ou la désinfection d’espaces. Complexe, le marché de la robotisation est de plus en plus segmenté par types et par applications: intelligence artificielle, robotique industrielle ou agricole, défense, services ou véhicules autonomes, pour ne citer que ces exemples. Savoir dans quelle mesure les robots seront capables de remplacer les humains - complètement ou pour accomplir certaines tâches - est une interrogation de plus en plus pressante. 

«Avec mes collègues économistes à l’Université de Lausanne, nous sommes partis de plusieurs études datant de quelques années, qui mesuraient déjà cet impact. Je les trouvais floues ou reposant sur une base scientifique insuffisamment solide», commence Dario Floreano, directeur du laboratoire des systèmes intelligents à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. «Nous avons donc repris le sujet en mettant au point une méthodologie qui part de la description de compétences propres à certains métiers existants, que nous avons confrontée aux capacités déjà maîtrisées par les robots. Cela nous permet de prévoir, pour neuf cent cinquante-quatre professions répertoriées, un indice de risque de remplacement par l’automatisation.» 

Or, les conclusions de cette étude sont peu rassurantes: la quatrième révolution industrielle menace l’emploi de manière plus large que prévu. Fini le paradoxe de Polanyi, voulant que l’on peut raisonnablement penser que les machines intelligentes ne sont pas près de remplacer les êtres humains. 

GLISSEMENT VERS LE HAUT 

«Lorsque nous avons présenté cette étude, certains ont été surpris d’apprendre que le métier de mannequin, par exemple, était menacé», sourit Dario Floreano. Le professeur veut y voir le reflet d’un changement de mœurs: plutôt que de s’extasier sur les nouvelles Claudia ou Cindy, l’époque actuelle semble davantage prête à voir des humanoïdes engagées pour porter des tenues: ce serait une manière de respecter une plus grande diversité d’apparence, voire de couleur. A fortiori, s’agissant des tâches très pénibles ou susceptibles de générer beaucoup de stress chez celles et ceux qui les effectuent, l’arrivée des robots pour les remplacer ne paraît pas trop gênante. 

Selon les chercheurs, les sociétés ne feront toutefois pas l’économie d’une transition globalement assez douloureuse, si elle n’est pas accompagnée. Ils ont donc proposé, dans la deuxième partie de leur étude, des pistes de réflexion. «La vague arrive plus vite que prévu et il ne faut pas tarder à réfléchir à des solutions de transition de carrière. En moyenne, nous serons sans doute amenés à changer une à deux fois de métier dans notre vie», avertit Dario Floreano. Cette recherche s’accompagnera d’un «indice de résilience», comme il le nomme. Tout un chacun pourra tester en ligne les meilleures idées de reconversion qui lui permettraient de passer d’un poste risqué à un autre, moins menacé dans l’immédiat. Une caissière pourrait par exemple se reconvertir dans le contrôle fiscal. 

Ces propositions, basées sur des algorithmes, n’ont pas la prétention d’être exhaustives. L’humain pourra toujours faire valoir ses choix selon sa sensibilité, puisque c’est une possibilité que les robots n’ont pas encore. Quoi qu’il en soit, un tel travail se veut utile aussi bien pour les professionnels des ressources humaines d’entreprises privées que pour les pouvoir publics chargés de gérer ce grand basculement.