En automne, les négociations salariales battent leur plein
En résumé
Chaque année, patronat et syndicat se retrouvent pour discuter d’éventuelles augmentations salariales dans les branches régies par une convention collective de travail. Les discussions peuvent être tendues et ne débouchent pas toujours sur un accord.
L’automne suisse ne se caractérise pas seulement par les feuilles mortes, le moût de raisin et le ballet étourdissant des étourneaux. Il est aussi synonyme de négociations salariales, dans les branches où existent des conventions collectives de travail (CCT). Une pratique bien rodée, dont les détails peuvent varier de branche en branche. Comment les négociations se déroulent-elles concrètement? Qui y prend part et sur quelles bases discute-t-on? Eléments de réponse. Ce sont les syndicats qui lancent le processus, au mois d’août, en faisant connaître leurs revendications générales. Cette année, ils ont notamment demandé la compensation de l’inflation, cent francs par mois ou 2% d’augmentation pour tous les travailleurs. Ces revendications sont appuyées par des analyses économiques mettant en exergue l’inflation, la hausse de la productivité ou la santé respective de tel ou tel secteur. Unia a aussi organisé des manifestations dans différentes villes afin d’appuyer ces revendications.
RÉACTION
Le patronat essaie de tempérer ces ardeurs. Il rappelle que la situation varie sensiblement de branche en branche, d’entreprise en entreprise, de région en région. Qu’augmenter les salaires de manière inconsidérée peut mettre en difficulté certaines entreprises, et donc en péril des emplois. Lui aussi peut s’appuyer sur des analyses économiques, comme celle récemment publiée par UBS, qui montre que dans plusieurs branches, les salaires réels ont sensiblement dépassé l’inflation cette année. Ce n’est cependant qu’en automne que l’on entre véritablement dans le vif du sujet. C’est alors que les syndicats écrivent à la délégation patronale de la commission paritaire de la branche pour demander l’ouverture de discussions. A ce stade, les revendications ont été affinées branche par branche et sont annoncées dans la missive, ce qui permet au patronat de préparer sa réponse. Il accepte en principe de rencontrer les syndicats. «Cela fait partie du jeu», estime Bernard Erny, administrateur de l’entreprise de vitrerie Loretti SA et membre de la délégation patronale de la commission paritaire du second oeuvre.
TAILLE VARIABLE
La taille des délégations varie beaucoup selon les branches. Pour les petites conventions cantonales, on peut se retrouver à quatre ou cinq autour d’une table. Dans le second oeuvre romand, en revanche, de vingt à trente personnes peuvent participer aux discussions. Chaque canton envoie en effet un représentant, du côté patronal comme syndical, actif dans les différents métiers couverts par la convention collective de travail, comme la peinture ou le bois. Côté patronal, les délégations sont essentiellement constituées de chefs d’entreprises, épaulés par un secrétaire patronal. Côté syndical, elles comptent surtout des permanents syndicaux, parfois accompagnés par un salarié de la branche. Enfin, les négociations se déroulent toujours en présence du secrétaire de la commission paritaire – l’organe qui réunit patronat et syndicats pour mettre en oeuvre la convention collective de travail. «Notre rôle consiste notamment à attirer l’attention des délégations sur certains points de droit dans le cadre des négociations de conventions collectives et de rédiger les amendements lorsqu’ils sont approuvés», relève Leila Mahouachi, secrétaire de plusieurs commissions paritaires genevoises.
DES SÉANCES PRÉPARÉES
«Les syndicats arrivent généralement très bien préparés, avec des analyses économiques et des chiffres», relève Bernard Erny. «Leurs permanents sont rompus aux négociations, qu’ils mènent pour plusieurs branches en parallèle. Cela leur permet d’avoir une vision globale.» Côté patronal, c’est le rôle du secrétaire de l’association professionnelle de défendre cette vision globale et d’apporter des éléments macro-économiques. «Nous sommes aussi là pour objectiver le débat, en nous basant sur des faits, et éviter que l’on parte dans l’émotionnel», ajoute Olivier Ballissat, secrétaire patronal de plusieurs associations professionnelles genevoises. «Nous essayons d’instaurer un climat de confiance avec les délégués syndicaux, ce qui n’est pas facile lorsqu’ils changent fréquemment.» «Il est rare que nous ayons des divergences sur les faits», note Aldo Ferrari, coresponsable du secteur artisanat au Secrétariat central du syndicat Unia, à Berne. Les discussions portent surtout sur les conclusions à en tirer.
DES SITUATIONS VARIABLES
Les revendications des syndicats varient de cas en cas. «Dans une branche comme le nettoyage, où l’on a obtenu de grosses revalorisations en comparaison avec les salaires des années 1990, on ne négocie pas chaque année», relève Aldo Ferrari. «Il existe cependant un mécanisme de secours en cas de forte inflation. Dans le second oeuvre, où cela fait dix ans que les salaires n’ont pas été revalorisés, les fronts se durcissent.» Le patronat n’a cependant pas accordé de revalorisation cette année. Si c’était son droit, à teneur de la convention collective, cela a été mal accueilli par les syndicats, qui ont parlé de manque de reconnaissance des efforts consentis pendant la pandémie et même de «gifle». «Les employeurs font face à une grande incertitude liée à la crise des matériaux de construction et au ralentissement qu’on observe dans certaines branches», explique Nathalie Bloch, secrétaire patronale du second oeuvre. «Nous ne sommes pas opposés à une revalorisation sur le fond, mais ce n’était pas le bon moment.» Les choses ne se passent cependant pas toujours de cette manière. «Dans la CCT de l’architecture, c’est le patronat qui a proposé des augmentations dans le cadre des négociations pour le renouvellement de la convention», relève Leila Mahouachi.
NÉGOCIATIONS SERRÉES
Les rondes de discussions peuvent durer plusieurs heures et les les délégués font un retour au comité, qui, parfois, peut vouloir la soumettre à tous ses membres, par le biais d’une assemblée générale extraordinaire», raconte Robert Angelozzi, secrétaire de plusieurs associations patronales genevoises. Ce qui explique que le patronat insiste pour recevoir les revendications syndicales suffisamment tôt. «Sans quoi on n’a plus le temps de mener tout le processus», note Olivier Ballissat. Il arrive que les discussions ne débouchent sur rien. «Les CCT obligent les parties à négocier, pas à trouver un accord», commente Aldo Ferrari. Ce n’est que partie remise, jusqu’aux prochaines négociations d’automne ou jusqu’à celles visant à renouveler la convention collective. Ces dernières laissent beaucoup plus de marge de manoeuvre. Elles peuvent en effet porter sur tous les aspects de la relation de travail: salaires, vacances, assurance perte de gains, formation continue, horaires, avantages sociaux, retraites, etc.
DONNANT-DONNANT
Chaque partie arrive avec ses revendications. Une concession dans un domaine peut donc être contrebalancée par une concession de la partie adverse sur un autre point. «On évalue ce que l’on a cédé et ce que l’on a obtenu pour déterminer si le paquet global est acceptable», résume Robert Angelozzi. Les entreprises du nettoyage ont ainsi accepté d’introduire un treizième salaire, à la condition que les rémunérations soient fixées pour toute la durée de la convention, soit quatre ans. «Cela nous donne une meilleure visibilité et nous permet d’intégrer ce coût dans notre planification financière», explique Pascal Raemy, président de l’Association genevoise des entreprises de nettoyage et de services. «De plus, ce n’est pas un secteur où les relations entre partenaires sociaux sont très sereines. Les négociations prennent des mois. Mieux vaut donc ne les mener qu’une fois tous les quatre ans.» interruptions de séances sont fréquentes. Chaque délégation se réunit dans une pièce pour affiner sa position, décider si telle concession est acceptable ou non. Avant d’en référer le cas échéant à sa base. «Les syndicats font des propositions,