Votation du 15 mai: Nouveaux marchés pour la production audiovisuelle suisse

En résumé

La votation du 15 mai 2022 concerne notamment la modification de la loi sur le cinéma. Elle prévoit que les services de streaming, à l’instar des chaînes privées de télévision suisses, investissent 4% de leur chiffre d’affaires réalisé en Suisse dans la création audiovisuelle indépendante. Tout un écosystème économique – production, tournage, tourisme, hôtellerie, etc. – bénéficierait ainsi d’un financement qui, aujourd’hui, part à l’étranger. Explications.
 


«Il y a une grande attente pour que notre industrie puisse aller de l’avant et bénéficier d’un cadre économique comparable à nos pays voisins. Le maintien et la création de nombreux emplois, ainsi que le développement de multiples entreprises se trouvent en jeu. Actuellement, les sociétés audiovisuelles suisses luttent face aux producteurs étrangers alors qu’elles ont un désavantage concurrentiel majeur auquel la modification de la loi sur le cinéma pourrait mettre fin.» David Rihs, associé du Groupe Point Prod Actua, société basée à Carouge et employant une centaine de collaborateurs dans la production digitale et audiovisuelle, explique ainsi les enjeux, pour son secteur d’activité, de la votation du 15 mai prochain.

Marie Klay, secrétaire générale de l’Association romande de  la production audiovisuelle, association faîtière professionnelle qui s’engage pour l’amélioration des conditions cadre de la production audiovisuelle, complète son propos: «Il s’agit, avec cette modification de la loi, d’une adaptation nécessaire des cadres de production et de la création d’une nouvelle dynamique positive non seulement en matière économique, mais dans le domaine culturel, artistique, technique et de la formation».

Les métiers de l’audiovisuel bénéficient ainsi à de nombreux autres secteurs d’activité – à celui de l’hôtellerie et de la restauration, par exemple, lors du tournage d’un film programmé sur plusieurs semaines au même endroit – et sont le socle de deux hautes écoles en Suisse romande».  

UN POTENTIEL INEXPLOITÉ  

Que propose la modification de la loi fédérale sur la culture et la production cinématographiques (loi sur le cinéma)? Elle tient compte de l’évolution numérique de la consommation de films et prévoit, entre autres mesures, que les services de streaming (les services de vidéos à la demande sur internet fournis par exemple par Netflix, Amazon ou Disney+) soient soumis à une réglementation similaire à celle en vigueur pour les chaînes de télévision suisses; ces dernières doivent investir 4% de leur chiffre d’affaires dans la création cinématographique suisse.

«Le fait de pouvoir collaborer régulièrement avec les plateformes de streaming ouvre de nouvelles perspectives pour les productions suisses, qui bénéficieraient de formats de diffusion différents – par rapport à ceux du cinéma et de la télévision – et capables de séduire un public plus vaste et plus diversifié», souligne Marie Klay.

«La plupart des autres pays européens font participer les services de streaming au financement de leurs productions nationales. Cette participation peut même se monter à 20% du chiffre d’affaires ou au-delà, comme c’est le cas en Espagne ou en France. Ces deux pays sont à l’origine de deux gros succès mondiaux de Netflix: les séries La casa de papel et Lupin. En Suisse aussi, nous avons le potentiel pour raconter des histoires adaptées à un très large public, comme le prouve, par exemple, une série comme Quartier des banques», argumente David Rihs. Il ajoute: «Il faut le type d’incitation que la modification de la loi sur le cinéma propose pour enclencher un dialogue – autrement dit, pour susciter un intérêt réciproque – et une collaboration avec les grands services de streaming. En effet, si la règle des 4% n’est pas là, les plateformes mondiales de vidéos à la demande sur internet ne viennent pas volontiers sur un marché suisse jugé trop petit et fragmenté en plusieurs langues. Résultat: l’argent que ces plateformes gagnent en Suisse est réinvesti dans des productions étrangères.

En changeant cela, nous ouvrons tout un pan de notre économie à l’international». Dans le cadre de la modification de la loi sur le cinéma, si des services de streaming choisissent de ne pas investir dans des productions indépendantes suisses ou s’ils choisissent de ne le faire que de manière partielle, ils devront, pour la différence, verser une taxe de remplacement équivalente en faveur de l’encouragement du cinéma suisse.  

PLUS D’ARGENT DANS LE CIRCUIT ÉCONOMIQUE  

La modification de la loi étendrait aussi l’obligation d’investir aux chaînes de télévision étrangères qui diffusent des pages de publicité destinées au public suisse (fenêtres publicitaires) et gagnent ainsi de l’argent sur le marché publicitaire helvétique. Selon des estimations, l’extension de l’obligation d’investir permettrait d’injecter chaque année dix-huit millions de francs supplémentaires dans la création cinématographique suisse.

Autre changement: les services de streaming devront aussi, avec la modification de la loi, réserver 30% de leur catalogue à des séries ou à des films produits en Europe. «C’est peu ou prou déjà le cas», précise Marie Klay. L’introduction d’un quota minimum revêt pourtant une grande importance pour la Suisse en tant que site de production: la législation suisse serait ainsi alignée sur la directive européenne sur les services de médias audiovisuels, ce qui constitue une condition préalable à la participation au programme culturel Europe créative, qui vise à renforcer la compétitivité des secteurs culturels, créatifs et audiovisuels européens.  

PAS UNE TAXE SPÉCIALE

Le Conseil fédéral et le parlement recommandent d’accepter la modification de la loi sur le cinéma et précisent que les investissements requis profiteront également aux fournisseurs de services de streaming: ils leur permettront de se procurer des séries et des films.

«C’est ce que montrent les expériences réalisées avec l’obligation d’investir à laquelle sont soumises les chaînes de télévision nationales: celles-ci ont toujours pu investir les montants exigés et n’ont pratiquement jamais eu à verser de taxe de remplacement.» Ce constat est aussi une manière de répondre au comité référendaire opposé à la modification de la loi sur le cinéma et qui estime que l’obligation d’investir dans la création cinématographique suisse équivaut à une taxe spéciale pour les  plateformes de streaming, taxe qui se répercutera sur le prix des abonnements. Marie Klay et David Rihs précisent ici qu’un tel cas est très peu probable.

«L’abonnement n’a augmenté dans aucun des pays concernés par ces règles. Les plateformes de streaming possèdent leur propre logique commerciale. En Suisse, où l’abonnement est l’un des plus chers au monde, Netflix a ainsi choisi d’augmenter ses tarifs cet hiver, bien avant le débat sur la modification de la loi sur le cinéma.»