Un sommeil de rêve

En résumé

Les phases de réveil diurne et de sommeil nocturne doivent suivre un rythme équilibré et stable. Lorsque les rythmes réveil-sommeil ne s’accordent plus, les répercussions sur la santé peuvent être lourdes.

Donald Trump se vantait souvent de n’avoir besoin de dormir que quatre heures par nuit. Il n’est pas le seul. Emmanuel Macron ou Angela Merkel ont affirmé la même chose. Lorsqu’on détient le pouvoir, est-il de bon ton d’être considéré comme petits dormeurs? Cela implique-t-il une capacité de travail ou d’investissement qui justifie d’avoir cette habitude?

Selon les spécialistes, le commun des mortels aurait tort d’appliquer ce principe. Pendant longtemps, on a cru que le sommeil était synonyme de vide, mais il n’en est rien. C’est au contraire une «matière vivante», comme le résument bien les spécialistes, et nous dormons pour nous recharger, au sens littéral. Même en le voulant, il n’est pourtant pas si simple d’y parvenir. Selon la clinique virtuelle de sommeil Haleo, qui fournit des soins professionnels pour traiter l’insomnie et le mauvais sommeil sans avoir à se rendre dans une clinique, un peu plus de la moitié des adultes présente des symptômes d’insomnie. La santé en général en pâtit et, a fortiori, les performances. «Ça arrive à tout le monde d’avoir une mauvaise nuit de sommeil. On en voit les effets dès le lendemain », affirme José Haba-Rubio (lire son interview ci-dessous). Selon tous les experts consultés pour ce dossier, il faut commencer à s’inquiéter quand la situation devient chronique. Au travail, une mauvaise qualité de sommeil se traduit par des endormissements, des troubles de concentration ou des perturbations de l’humeur. La performance, la productivité et la qualité du travail s’en trouvent directement affectées. Dans certains cas, cela peut même mener à des accidents de travail.

Le défi des horaires atypiques

Les éléments qui influencent la qualité du sommeil varient beaucoup d’une personne à l’autre. Il y a des gens qui fonctionnent très bien avec des horaires rotatifs, coupés ou de nuit. Ainsi, l’historien Roger Ekirch a découvert presque par hasard, en faisant des recherches pour un livre sur l’histoire de la nuit, que, durant des siècles, la tradition d’un sommeil biphasique était bien ancrée en Occident. Ainsi qu’il l’a expliqué dans une émission de la BBC, de nombreux documents, comme la littérature du haut Moyen Âge à la révolution industrielle, l’attestent. Les archives nationales du Royaume-Uni renferment par exemple des dépositions pénales qui font mention d’habitudes de ce type, décrites comme ordinaires. Les gens se couchaient dès la nuit tombée et se réveillaient vers 23 h. Ils se livraient ensuite à toutes sortes d’activités pendant une paire d’heures, avant de se recoucher pour une deuxième phase de sommeil. Etonné, Roger Ekirch a creusé la question et a fini par découvrir que ce sommeil fragmenté a existé dans de nombreuses civilisations et à différentes époques, y compris dans l’Antiquité. C’est l’essor de la civilisation industrielle et la pression sociale qui aura entraîné la fin et l’oubli de ces pratiques. L’arrivée de l’éclairage artificiel a aussi permis à la population de se coucher plus tard. Le sommeil d’un bloc unique a fini par devenir la norme. Aujourd’hui, les spécialistes pensent que ce souvenir peut expliquer que certains d’entre nous soient davantage portés à veiller la nuit. Mais cela reste des exceptions. Car, physiologiquement parlant, l’homme reste un animal diurne. Au-delà des particularités, les médecins recommandent aux adultes de plus de 18 ans de dormir entre sept et neuf heures par nuit.


Réapprendre les bonnes habitudes

Il existe plusieurs centres de sommeil en Suisse, qui proposent une approche pluridisciplinaire. Comme l’explique José Haba-Rubio, neurologue et codirecteur du Centre du sommeil de Florimont, auteur reconnu, les besoins dans ce domaine sont en constante augmentation en Suisse. De quand date la création du Centre du sommeil de Florimont? Il a été fondé il y a cinq ans. Les connaissances médicales sur cette fonction biologique essentielle qu’est le sommeil ont beaucoup progressé ces dernières années. Il répond à des besoins croissants de la population. De quoi souffrent les personnes qui viennent vous voir? Leurs maux sont de nature variée. Il peut s’agir d’insomnies chroniques ou transitoires, de problèmes respiratoires comme l’apnée du sommeil, de parasomnies ou de troubles de l’horloge interne. Un premier entretien avec un médecin spécialiste du sommeil, très important, permet de filtrer les demandes et de savoir quelles sont les pathologies qui perturbent le sommeil. A la suite de cette évaluation, nous pouvons proposer aux patients de passer une nuit au centre, lors de laquelle nous enregistrons différents paramètres physiologiques pendant le sommeil grâce à une surveillance technique et une vidéo synchronisée.

En quoi l’approche médicale des problèmes de sommeil a-t-elle évolué?

Le sommeil est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Heureusement, des progrès considérables ont été faits grâce aux neurosciences, qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe quand nous dormons. Nous savons aujourd’hui que cet état n’a rien de passif: il a des fonctions de récupération, il a un rôle sur nos sécrétions hormonales et surtout sur notre cerveau ou, plus précisément, sur notre système nerveux central. Outre ces progrès sur le plan neurologique, nous pouvons aujourd’hui investiguer ces troubles grâce à des équipements de pointe, beaucoup moins lourds et plus confortables pour le patient. Nous utilisons notamment des capteurs posés à différents endroits du corps.

Le fait de dormir n’a donc rien d’uniforme?

Lorsque nous plongeons dans le sommeil, le rythme cardiaque, la pression artérielle et la température corporelle baissent. Puis l’activité cérébrale change, en passant de l’état de sommeil lent et léger à l’état de sommeil avec mouvements oculaires rapides: c’est le sommeil paradoxal, où s’inscrivent les rêves les plus riches. Le rythme cardiaque, la pression artérielle et la température corporelle deviennent beaucoup plus variables. Durant la nuit, ces phases de sommeil lent et paradoxal alternent, le sommeil à ondes lentes devenant de moins en moins profond et les épisodes de sommeil à ondes rapides devenant de plus en plus longs jusqu’au réveil.

Quelles sont les conséquences d’un mauvais sommeil chronique?

Nous avons tous intuitivement remarqué qu’après une mauvaise nuit, nous avons du mal à nous concentrer et à réagir rapidement. Un nombre croissant d’arguments suggère ainsi que le déficit de sommeil augmente le risque de développer des problèmes de santé tels que le diabète, les troubles cardiovasculaires et les attaques, les accidents vasculaires, la dépression, l’hypertension artérielle, l’obésité ou certaines infections.

Quelles sont les bases du protocole que vous proposez?

Il faut déterminer l’origine du problème, s’il est d’ordre physiologique ou psychologique. Dans le cas d’une insomnie avérée, nous proposons une thérapie cognito-comportementale, à suivre en groupe ou individuellement. Nous réapprenons aux patients à se relaxer. Le cerveau a la fâcheuse tendance, à la longue, à se souvenir des insomnies et à nous empêcher de bien dormir. Il existe des traitements passant par la luminothérapie, la méditation ou la chronothérapie. Dans certains troubles d’origine génétiques, il n’existe pas toujours d’autres choix que la prise de médicaments, en tout cas au début. Grâce à un accompagnement personnalisé, il est ensuite souvent possible de s’en passer.


Etes-vous dauphin, ours, lion ou loup?

Pour trouver la clé d’un bon sommeil, il est souvent intéressant de comprendre le fonctionnement de son horloge interne. Celle-ci diffère d’une personne à l’autre. S’il est assez facile de dire qu’on est du matin ou du soir, il est possible d’aller encore un peu plus loin en s’intéressant à son chronotype.

C’est ce type d’approche qu’a popularisé Michael Breus, avec son best-seller Quand? Faites votre révolution chronobiologique. Sur un mode ludique, ce psychologue clinicien californien fait une comparaison entre les animaux et les humains pour déterminer quel est celui qui sommeille en eux. En passant en revue les préférences et les habitudes, il répartit la population en quatre catégories: les ours, les dauphins, les lions et les loups. Cette lecture livre la promesse de pouvoir mieux adapter son emploi du temps, d’optimiser ses performances et même de vivre plus en accord avec sa véritable nature dans tous les domaines de l’existence.

Selon l’auteur, 10% de la population appartient au type dauphin, avec un sommeil très léger, à l’instar de l’animal, dont une moitié du cerveau reste éveillée durant la nuit. Très sensible aux stimulations extérieures, il se concentre souvent mieux seul qu’en équipe ou en open space. On le décrit comme introverti, perfectionniste et anxieux. Tout l’inverse de l’ours, mammifère auquel correspond la moitié de la population. Ce type de personnalité aime dormir, manger et se faire plaisir.

Elle est très sociable et s’adapte sans trop de difficultés aux environnements qu’elle côtoie. Entre 10% et 20% de la population est de type lion, dont la caractéristique est l’énergie au réveil. C’est un très bon public pour mettre en pratique la théorie du miracle morning1. Très actif et concentré le matin, ce personnage perd en énergie dès le début de l’après-midi pour n’avoir qu’une envie le soir: se coucher tôt.

Enfin, de 15% à 20% de la population s’apparente au loup. On y trouve les couche-tard et les lève-tard, grands adeptes des rythmes décalés. Très sensibles, ils peinent parfois à s’adapter aux exigences trop carrées de la vie de bureau. Ils font en revanche preuve d’une créativité remarquable, qui est encore décuplée durant la nuit. Il n’est donc pas étonnant qu’on y rencontre de très nombreux artistes! n 1Miracle morning: méthode de développement personnel qui revisite l’idée que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt.


La fatigue, cause majeure des accidents professionnels

Un accident professionnel sur cinq est lié à des troubles du sommeil, selon une enquête de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA) qui remonte à 2017.

«Même si nous n’avons pas actualisé ces chiffres, nous savons que les cas relevant de cette causalité sont en hausse et qu’elle fait presque doubler le risque d'accident», résume Bruno Guscioni, spécialiste de la prévention à la SUVA. On compterait près de 53 000 accidents professionnels provoqués par des troubles du sommeil par an en Suisse. Cela entraîne des coûts à hauteur de 290 millions de francs. Les métiers du bâtiment, ceux impliquant la conduite d’un véhicule ou la manipulation de machines-outils dangereuses, comme c’est souvent le cas dans l’industrie, sont très exposés. «La plupart des accidents sont dus à des chutes et à des faux pas», rappelle Bruno Guscioni. La catégorie de personnes ayant plus de 30 ans, dormant moins de sept heures par nuit et travaillant plus de 50 heures par semaine est davantage concernée que les autres.

Il est dès lors capital de renforcer la prévention. Les employeurs ont également tout intérêt à informer leurs équipes de l’importance de ce problème. Il leur est même recommandé de créer des salles de repos qui favorisent les siestes éclairs.

De son côté, la SUVA propose, parmi ses nombreux modules, un atelier sur l’art de bien dormir, animé par un spécialiste. Outre des explications thématiques, les participants y trouvent l’opportunité de faire leur propre évaluation. Si la problématique concerne en premier lieu les employés, il ne faut pas oublier que les employeurs sont liés par un certain nombre d’obligations de protection de ces derniers dans le cadre des rapports de travail, dont le fait de veiller à ce qu’ils soient en état de travailler.

La SUVA recommande vivement à ses affiliés de redoubler de précautions en cas de travail de nuit, sachant que la plupart des accidents professionnels graves surviennent vers 2 heures ou 3 heures du matin.


Des pyjamas intelligents

Nous passons près d’un tiers de notre vie à dormir: cela vaut la peine d’investir dans des équipements de qualité. Les fabricants de lits et de matelas se sont beaucoup appuyés sur la recherche pour améliorer l’offre. Curieusement, tel n’a pas été le cas concernant le marché des vêtements de nuit, alors qu’ils sont encore plus directement en contact avec la peau. Fort de ce constat, un couple helvéticosuédois, Catarina Dahlin et Andreas Lenzhofer, a choisi de se lancer dans ce domaine en 2016. «Des études scientifiques démontrent qu’un pourcentage élevé de personnes ont trop chaud en dormant et d’autres trop froid, ce qui entraîne des perturbations du sommeil: il y avait là matière à développer un projet d’entreprise», résume Emilie Maus, responsable des ventes chez Dagsmejan.

Si ce nom curieux intrigue, c’est que les deux fondateurs ont choisi un mot suédois qui fait référence aux derniers jours de l’hiver, lorsque la chaleur des rayons du soleil fait fondre la neige. Dag signifie jour et meja, force et vigueur. «C’est le moment où la nature se réveille après une période froide et sombre - c’est ce sentiment que nous voulons transmettre avec nos pyjamas », précise Emilie Maus. Le couple a développé des tenues de nuit qui permettent de réguler ces variations de température, tout en étant très légers et agréables, en s’inspirant des inventions mises au point dans le domaine des vêtements de sport. Pour parvenir à un résultat probant, le duo a travaillé avec une équipe pluridisciplinaire, dont l’EMPA (Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche, à Saint-Gall). Les textiles utilisés sont exclusivement composés de fibres naturelles, adaptées à chaque cas, et enrichies grâce à des technologies de pointe. La recette est bien entendu secrète et protégée par un brevet.

Original, ce projet d’entreprise a pu bénéficier du soutien d’Innosuisse en 2018. Dagsmejan est ensuite passé à l’étape de la commercialisation, qui se fait surtout en mode numérique ou grâce à un réseau de partenaires dans la grande distribution, comme Globus. Dagsmejan distribue ses articles dans le monde entier, profitant de son avance et du fait qu’il existe encore peu de concurrence. Depuis quelques semaines, un pop-up store prend place au coeur de Zurich, avec pour objectif de mieux faire connaître la marque auprès des consommateurs finaux.


Le retour du bonnet de nuit

Daniel Kraus, professeur de droit spécialiste en innovation et propriété intellectuelle, a eu une idée originale: relancer le port du bonnet de nuit, en fondant la start-up Hyphead. «Je me suis dit qu’il était bon de vivre les questionnements d’un entrepreneur et de passer par la case pratique», commence Daniel Kraus. Notant avec humour qu’il ne possède pas une chevelure abondante, il confie qu’il lui arrivait d’avoir froid à la tête pendant la nuit. «J’ai commencé mes réflexions en 2016 et il se trouve qu’avec les risques de crise énergétique et de baisse de chauffage, mon idée est fondée! Même si le projet doit rester à petite échelle, les bonnets de nuits ont trouvé leur public. Certains en détournent l’usage et les mettent pour faire leur jogging s’il fait froid, par exemple». Dans sa quête du parfait accessoire, Daniel Kraus a couru les grandes foires du textile, comme celle de Francfort, et travaille sur les choix des coloris pour décliner son offre. «C’est une expérience amusante et complète, puisque je m’investis tout au long de la chaîne de production. J’ai dû me pencher sur des questions d’étiquettes et d’emballages, sans parler du marketing. Comme je suis créatif, cela me plaît beaucoup», résumet- il. Modeste, il s’en tient pour le moment à fabriquer lorsqu’il a suffisamment de commandes. En tout cas, Daniel Kraus est persuadé que ses bonnets peuvent devenir hype!


À LIRE

Faites de beaux rêves,
de Clément Bacle & Frédéric Chapelle.

Les auteurs sont médecins. Ils donnent des clés pour retrouver durablement et naturellement un sommeil apaisé. L’ouvrage propose de déterminer son profil type de dormeur et d’établir un agenda du sommeil. Malakoff InterÉditions Poche, 2021, 240 pages.

Quand? Faites votre révolution chronobiologique
de Michael Breus.

Médecin du sommeil, l’auteur propose une approche ludique, qui permet de trouver son chronotype. Il a l’ambition d’améliorer notre rapport au temps. Belfond, 2017, 450 pages.

Je rêve de dormir
de Raphaël Heinzer et José Haba-Rubio

Des anecdotes étonnantes pour mieux comprendre comment fonctionne le sommeil. Editions Favre, 2016, 271 pages.

J’ai envie de comprendre le sommeil
d’Elisabeth Gordon, Raphaël Heinzer et José Haba-Rubio.

Editions Médecine et Hygiène, 2014, 140 pages.