Accompagnement du changement: incontournable pour les entreprises
En résumé
Crise sanitaire, inflation, pénuries, bouleversement climatique, télétravail, transformation digitale de l’organisation, nouvelles attentes des collaborateurs et des collaboratrices: les éléments qui obligent les entreprises à changer et à s’adapter sont multiples. Sont-ils plus nombreux et plus contraignants qu’auparavant? Sans doute. Dans ce contexte, savoir favoriser et accompagner le changement apparaît comme une compétence clé nécessaire à tous les dirigeants.
«Je pense qu’il y a un questionnement qui est en train de se faire, ou même qui se faisait déjà pour certains, sur le sens donné au travail. Cette crise a permis une réflexion approfondie que les gens n’avaient pas forcément le temps de faire avant (…). Qu’est-ce qui compte pour un candidat aujourd’hui? Quand il regardait une offre d’emploi, auparavant, c’était la rémunération, toujours en premier critère. Maintenant, c’est la flexibilité du temps de travail et cela risque de rester. Les candidats et les salariés attendent une souplesse de la part de l’employeur.» Interrogé récemment par un quotidien à propos des conséquences de la crise sanitaire, Laurent Giraud, maître de conférences en gestion des ressources humaines et en gestion du changement à la Toulouse School of Management, dresse un constat sans ambiguïté concernant les évolutions en cours sur le marché du travail: elles vont perdurer.
Une étude de PwC qui vient d’être publiée – People Hope and Fear Survey – va dans le même sens que ses propos. Cette analyse s’intéresse aux attentes de plus de cinquantedeux mille travailleurs dans le monde (dans quarante-quatre pays). Une des conclusions? «La «grande démission» (phénomène né aux Etats-Unis en 2020 où de nombreux salariés ont décidé de quitter leur place de travail - ndlr) a appris quelque chose aux employeurs: il ne faut pas imaginer que les collaborateurs sont éternellement fidèles à leurs postes ou à leurs métiers. De nombreuses entreprises ne sont pourtant pas assez attentives à cette réalité: elles n’accordent pas suffisamment d’attention aux travailleurs qualifiés qui présentent un risque élevé de partir; elles ne soutiennent pas les collaborateurs qui cherchent à donner du sens à leur travail et à favoriser un certain épanouissement personnel; elles ratent des occasions d’établir un lien de confiance avec les salariés, lien qui conduit si souvent à des résultats positifs aux niveaux personnel, professionnel et même sociétal.»
Des spécialistes et des études récentes s’accordent sur le fait que, compte tenu des nouvelles attentes des collaborateurs, les dirigeants doivent désormais non seulement parfaitement savoir gérer le changement d’un point de vue opérationnel, mais aussi accompagner les groupes humains au cœur de ce changement. Les nouvelles attentes des collaborateurs ne sont pas seules en cause. Des transformations diverses traversent les organisations: révolution numérique, responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), engagements en matière de durabilité, contraintes liées aux pénuries, pour ne citer que quelques exemples. «Les entreprises opèrent dans un monde de plus en plus polarisé, où les questions politiques et sociales exercent un pouvoir intense sur les personnes», souligne l’étude de PwC. Kevin Boti, senior associate workforce strategy & leadership chez PwC à Genève, s’est exprimé au début du mois sur ce sujet à l’occasion d’un Petit déjeuner des PME et des start-up qui avait lieu dans les locaux de la FER Genève. Le titre de son intervention proposait d’adapter «son leadership aux nouveaux paradoxes et (d’)anticiper l’organisation de demain».
Pour lui, la nouvelle donne par rapport aux décennies passées réside dans le phénomène d’accélération: «Le rythme des crises financières, des bouleversements environnementaux, des demandes sociales inédites ou des révolutions techniques est beaucoup plus intense qu’auparavant. La gestion du changement s’impose comme une compétence à exercer au quotidien pour les responsables d’équipes. D’action offensive, le changement est également devenu une mesure défensive: on change désormais pour rester dans la norme et moins pour innover. Les entreprises qui possèdent l’agilité dans leur ADN s’en sortent évidemment mieux». OÙ
IL EST QUESTION D’AGILITÉ…
Pour Céline Desmarais, professeure à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-vd) et directrice du Master of advanced studies Développement humain dans les organisations, les entreprises définissent une stratégie globale de changement face à des événements internes ou externes, qui peut les amener vers un modèle de management agile. Cette agilité nouvellement acquise permet de s’adapter plus efficacement à différents contextes.
Un cercle vertueux est créé. «Pour mettre en place et accompagner une stratégie globale de changement vers un modèle agile, il faut également adopter un processus de suivi agile», commente Céline Desmarais qui veut, avec cette précision, insister sur la porosité existant entre ces différents concepts. Pour elle, non seulement les entreprises sont bousculées aujourd’hui par une série de crises ou de transformations majeures, mais elles ont aussi conscience comme jamais auparavant de ces bouleversements et de ces convulsions. Ce dernier point va de pair, paradoxalement, avec des forces conservatrices puissantes qui empêchent beaucoup d’organisations d’évoluer comme il le faudrait. «L’enjeu est d’anticiper et de développer un modèle agile: les entreprises qui agissent ainsi s’en sortent le mieux.»
Céline Desmarais met en avant des démarches collectives qui peuvent faciliter les prises de décision, comme celle initiée par l’association romande La Fabrique de l’agilité qui encourage notamment le partage de bonnes pratiques. «L’agilité organisationnelle consiste à développer la réactivité dans l’organisation, en s’appuyant sur l’intelligence collective de collaborateurs autonomes, afin de créer une valeur globale et de répondre aux besoins des parties prenantes», explique La Fabrique de l’agilité. «Plus précisément, pour déployer l’agilité organisationnelle, nous avons développé un modèle qui repose sur trois dimensions: le pilotage agile – anticiper les changements et coopérer avec les parties prenantes pour aligner l’organisation sur une vision inspirante et évolutive –; les processus agiles – concevoir une organisation et des processus évolutifs permettant une action réactive et coordonnée –; les personnes agiles – favoriser un leadership permettant d’accompagner l’autonomie, l’intelligence collective et le développement des compétences des collaborateurs.»
LE RÔLE CLÉ DES CADRES
Pour Céline Taïs, dirigeante et fondatrice de l’agence genevoise de conseil et de négociation pi-lot et intervenante à la Haute école de gestion de Genève (HEG Genève), la notion de leadership est essentielle dans la recette qui mène une organisation vers un modèle de management agile, donc vers un changement profond dans sa manière d’agir et de fonctionner. «Les leaders ont un rôle clé. Ils ont pour mission de transmettre de façon convaincante et inspirante les messages relatifs au changement à tous les collaborateurs.
Ils doivent créer l’unité autour du nouveau projet d’entreprise et imposer une vision de long terme face à un quotidien qui pousse trop souvent au courttermisme. Notons que le droit à l’erreur existe dans une telle démarche. Il ne faut pas dégager, dans sa communication, un sentiment de toute-puissance, mais au contraire admettre que ce processus de changement entraînera peut-être des adaptations nécessaires au fil du temps.» Céline Taïs ajoute que la gestion du changement n’est pas forcément simple à réaliser pour les organisations, et notamment pour les PME, qui sont prises dans des réalités économiques et commerciales chronophages. «Mon rôle consiste souvent à aider des dirigeants à sortir de l’ornière et à prendre le temps de décider d’un nouveau modèle de management.»
Kevin Boti met lui aussi en avant le rôle essentiel du leader dans la conduite du changement. «L’attitude des dirigeants détermine tant de choses! Elle va avoir des incidences sur le comportement des salariés, sur la culture d’entreprise, sur les normes appliquées au sein de l’organisation ou sur les résultats financiers. En faisant ce constat, on se rend compte que la formation des cadres constitue un excellent investissement pour les entreprises qui veulent posséder un vrai savoir-faire en matière de conduite des équipes. Les cadres doivent être capables d’expliquer et de donner du sens au changement et au travail de chacun et de chacune!»