Télétravail: obligations de l'employeur et de l'employé (Partie 1/2)

En résumé

La crise liée à la pandémie du coronavirus a modifié, parfois radicalement, de nombreuses pratiques de la vie en société et en entreprise.

Nous vous encourageons à vous rendre sur notre page dédiée au télétravail pour obtenir des informations complètes et à jour sur ce sujet en constante évolution. Cette page propose des ressources et des conseils pour aider à s'adapter au travail à distance, ainsi que des informations sur les politiques et les pratiques les plus récentes en matière de télétravail.

Partie 1: les frais

La crise liée à la pandémie du coronavirus a modifié, parfois radicalement, de nombreuses pratiques de la vie en société et en entreprise. Le télétravail est un exemple de ces modifications. Peu utilisé en Suisse avant la crise, il constitue actuellement la règle pour les travailleurs qui peuvent exercer leur activité professionnelle depuis la maison, dans le secteur tertiaire notamment. Outre les contraintes techniques et organisationnelles, le télétravail fait appel à un degré de confiance et de responsabilité personnelle accrus en comparaison du travail exercé dans les locaux professionnels habituels. Le droit suisse ne prévoit pas de règle particulière en cas de télétravail. Le code des obligations (CO) et la loi fédérale sur le travail (LTr) restent donc applicables au télétravail. En ce qui concerne l’employeur, l’obligation de rembourser les frais nécessaires à l’accomplissement du travail et celle de protéger la santé de ses employés s’appliquent donc également lorsque l’employé télétravaille.

Les frais liés au télétravail

Selon l’article 327a al. 1 CO, l’employeur doit rembourser au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail. Un accord écrit, un contrat-type de travail (CTT) ou une convention collective de travail (CCT) peuvent prévoir que les frais engagés par le travailleur lui seront remboursés sous forme d’une indemnité forfaitaire, à la condition qu’elle couvre les frais nécessaires (art. 327a al. 2 CO). Un tel accord n’est donc valable que s’il est conclu par écrit et si, en moyenne et pris dans leur ensemble, les frais sont effectivement couverts. Le forfait doit couvrir les frais sur une période assez longue, une année par exemple, et non les frais réels du travailleur sur une courte période. Si le montant de l’indemnité forfaitaire ne correspond pas, globalement, au remboursement de frais effectifs ou si l’employeur rembourse au travailleur tous ses frais en sus de l’indemnité forfaitaire, cette dernière pourrait alors être considérée comme un élément du salaire (soumis au paiement de charges sociales) et non un remboursement de frais. On parle alors de salaire déguisé. Selon l’art. 327a al. 3 CO, les accords en vertu desquels le travailleur supporte lui-même tout ou partie de ses frais nécessaires sont nuls.

Les frais professionnels, qui recouvrent l’ensemble des dépenses du travailleur liées à l’exécution du travail et qui sont nécessaires au regard de l’activité exercée, doivent être remboursés par l’employeur. Ces frais doivent être distingués des frais personnels de l’employé, soit ceux qui sont en relation avec la vie de tous les jours. L’employeur n’a ainsi aucune obligation de rembourser au travailleur des frais que ce dernier assume de toute façon, qu’il (télé)travaille ou non. Ces frais, généralement fixes, ne découlent pas de manière décisive de l’utilisation professionnelle des locaux et du matériel privés de l’employé. L’on pense ici par exemple à une participation (quote-part) du loyer du domicile de l’employé ou à l’abonnement à internet contracté par celui-ci.

Ainsi, l’employeur ne doit pas rembourser de frais au travailleur pour le loyer d’une pièce ou d’un appartement que celuilà n’a pas loués à des fins professionnelles. Dans un tel cas en effet, le travailleur doit, indépendamment de toute activité professionnelle en leur sein ou non, payer le loyer de ces locaux. Toutefois, le Tribunal fédéral (TF) a admis la prise en charge par l’employeur de certains frais fixes lorsqu’aucune place de travail adéquate n’est mise à la disposition de l’employé1.

Situations différentes, solutions différentes

1. Le télétravail est imposé aux deux parties (employés et employeurs)

Il s’agit des situations qui prévalent dans un contexte extraordinaire et imprévisible, par exemple en application des mesures décidées par le Conseil fédéral en lien avec la pandémie de coronavirus2. Dans ce cas, l’employeur devra rembourser à l’employé uniquement les frais nécessaires à l’accomplissement du télétravail depuis le domicile (par exemple les surcoûts générés par des communications téléphoniques professionnelles), mais non les frais fixes que l’employé supporte habituellement, indépendamment de tout télétravail, tels que le loyer de son domicile, l’abonnement à internet ou un forfait téléphonique privé.

2. Le télétravail est imposé à l’employé par l’employeur

L’on pense en particulier aux cas où l’employeur, pour des raisons de coûts, décide de ne pas proposer de locaux professionnels à ses employés pour l’accomplissement du travail. C’est notamment le cas qui a donné lieu à l’arrêt du TF du 23 avril 20193. Aux termes de cet arrêt, le TF a jugé qu’un montant de cent cinquante francs par mois versé par l’employeur à l’employé pour la participation au loyer pour un bureau et un lieu de stockage d’archives au domicile privé de l’employé n’était pas arbitraire. Il s’agissait toutefois d’une situation particulière d’un employé d’une entreprise qui ne disposait pas de locaux professionnels. Le TF a rappelé aux termes de cet arrêt que l’employeur qui ne met pas à la disposition du travailleur un bureau approprié doit indemniser le travailleur pour l’utilisation d’une partie de son logement à titre de bureau. En effet, une telle utilisation est alors nécessaire à l’exécution du travail.

3. L’employeur et l’employé conviennent d’un commun accord que le second pourra effectuer du télétravail

Il s’agit notamment des situations où l’employeur accède à une demande de son employé, pour satisfaire sa convenance personnelle, par exemple pour des raisons d’organisation familiale de l’employé. Dans ce cas, notamment car l’employé retire de cette situation d’autres avantages (par exemple en économisant des frais de transport ou en bénéficiant d’une meilleure conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle), l’employeur pourra parfaitement renoncer, par écrit, à indemniser l’employé pour les frais liés au télétravail. Les frais engendrés par le télétravail ne sont en effet pas imposés par l’exécution du travail mais résultent d’un choix de l’employé.

Conclusion

En cas de télétravail, les obligations de l’employeur et de l’employé perdurent, comme lorsque le travail est exécuté en présentiel, c’est-à-dire sur le lieu de travail habituel. En ce qui concerne les frais, l’employeur devra rembourser à l’employé ceux nécessaires au télétravail. Ainsi, lorsque le travailleur télétravaille à sa demande, pour satisfaire sa convenance personnelle, l’employeur pourra renoncer, par convention écrite, à lui rembourser d’éventuels montants en lien avec le télétravail. Relativement aux frais, en général fixes, que l’employé supporte qu’il télétravaille ou non depuis son domicile - par exemple le loyer - , l’employeur ne devra les rembourser qu’en cas de circonstances extraordinaires, en particulier lorsqu’il décide de ne pas offrir de locaux à l’employé pour exécuter son travail4.

Aux fins de simplification administrative notamment, il est recommandé de prévoir par écrit que ces frais seront remboursés sous la forme d’une indemnité forfaitaire, laquelle devra cependant impérativement couvrir, en moyenne et pris dans leur ensemble, les frais nécessaires (art. 327a al. 2 CO). En ce qui concerne le montant de cette indemnité, il dépend d’un ensemble de circonstances. Ce montant devra dans tous les cas couvrir les frais nécessaires à l’accomplissement du travail.

La deuxième partie de cet article paraîtra dans notre édition du 19 juin.

1 Arrêt du TF 4A_533/2018 du 23 avril 2019 résumé in InfoSAJEC août 2019, page 10.

2 Cf. notamment les art. 10c al. 1 et 2 O- 2-COVID-19 en ce qui concerne les personnes vulnérables. A noter que seuls les employés vulnérables eux-mêmes (et non faisant ménage commun avec une personne vulnérable par exemple) sont fondés à exiger la possibilité d’exécuter du travail à domicile, à l’exclusion des autres (cf. Jean-Philippe Dunand et Rémy Wyler, Coronavirus et droit suisse du travail: quelques questions en période de déconfinement, Newsletter DroitDuTravail. ch, du 28 mai 2020, page 20 et les références citées).

3 4A_533/2018, résumé in InfoSAJEC août 2019, page 10.

4 Arrêt du TF 4A_533/2018 du 23 avril 2019 résumé in InfoSAJEC août 2019, page 10.