
Refonte du «Green deal» européen: quel impact pour les entreprises suisses?
En résumé
Suite au rapport Draghi sur la compétitivité européenne et les appels à un allègement de la charge administrative pour les entreprises, la commission européenne a présenté le 26 février 2025 sa proposition de révision du cadre législatif du Green Deal dont les derniers contours venaient pourtant d’être adoptés en 2024. De quoi parle-t-on ici et quel impact les entreprises suisses doivent-elles attendre de cette décision, dans l’immédiat et à plus long terme?
De quoi parle-t-on?
L’objectif affiché du Green Deal est de faire de l'Union européenne (UE) le premier bloc climatiquement neutre d'ici 2050, à travers un cadre législatif qui encourage les financements et investissements permettant de transformer l’économie dans le temps voulu et de manière socialement responsable.
Parmi la dizaine d’éléments qui composent ce green deal, les points visés par la proposition de la commission sont les suivants:
- La taxonomie verte, qui s’applique depuis 2022, a pour objectif de créer un système de classification des activités économiques selon leur durabilité, pour orienter les investissements vers des projets respectueux de l'environnement. Pour être encouragée, une activité doit contribuer à au moins un des six objectifs environnementaux de l'UE, sans nuire aux autres.
- La Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), applicable depuis le 1er janvier 2024, vise à améliorer la transparence et la qualité des informations ESG publiées par les entreprises. Pour ce faire, elle oblige les entreprises atteignant les seuils fixés à publier des rapports détaillés sur leur impact en matière de durabilité, suivant des normes européennes harmonisées (ESRS).
- La Directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDDD) qui devait entrer en vigueur à partir de 2027 a pour objectif de responsabiliser les entreprises quant aux impacts de leurs activités sur les droits humains et l'environnement tout au long de leur chaîne de valeur. A cette fin, la directive exige que les entreprises assujetties mettent en place des processus de diligence raisonnable pour identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs de leurs activités et établit un mécanisme permettant de sanctionner des manquements graves à ce devoir.
- Le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) dont l’application doit commencer en 2026 a pour objectif d’éviter les "fuites de carbone" en imposant un coût sur les émissions de certains produits importés dans l'UE. Son fonctionnement repose sur l’obligation pour les importateurs d’acheter des certificats correspondant aux émissions de CO2 des produits qu’ils importent, alignant ainsi le prix du carbone inclus dans les biens importés sur les prix en vigueur dans l’UE.
Ces quatre instruments sont connectés, dans le sens où la taxonomie définit le cadre normatif (qu’est-ce qui est « durable ») utilisé par les autres instruments. Sur cette base, la CSRD standardise la collecte des données et le reporting des entreprises sur la durabilité de leurs activités. Si la CSRD ne fixe pas d’obligation de résultats pour les thèmes qu’elle couvre, la CSDDD elle, demande des actions concrètes sur les informations rapportées. Finalement, le CBAM utilise les données issues de la CSRD et de la taxonomie pour évaluer l'empreinte carbone des produits importés et fixer les taxes qui s’y rapportent.
Quels sont les changements proposés par la commission?
Les changements proposés les plus significatifs sont les suivants :
- Pour la CSRD le seuil d'application serait relevé à 1000 salariés, tant pour les entreprises cotées que non cotées, réduisant ainsi de 80% le nombre d'entreprises concernées. Le périmètre de reporting serait allégé, avec la suppression des normes sectorielles et une réduction des données à collecter et l’abandon de l’objectif de passer d’une assurance limitée à une assurance raisonnable pour les audits. Finalement, un délai de deux ans serait accordé aux entreprises n'ayant pas encore commencé à reporter. Ces changements, s'ils sont adoptés, ne devraient pas entrer en vigueur avant 2026-2027, laissant la CSRD actuelle en place pour les entreprises déjà concernées.
- La CSDDD, qui n’est pas encore entrée en vigueur, verrait ses obligations considérablement allégées. Ainsi, elle ne concernerait plus que les fournisseurs directs, abandonnant son ambition de couvrir l'ensemble de la chaîne de valeur. La fréquence d'évaluation passerait à tous les 5 ans, et les sanctions seraient significativement assouplies, notamment avec la suppression des amendes liées au chiffre d'affaires global et la limitation des parties habilitées à attaquer une entreprise en justice. L'application de ces changements serait reportée d'un an, s'alignant probablement sur le calendrier de la CSRD révisée.
- La Taxonomie européenne connaîtrait une restriction de son champ d'application, ne concernant plus que les "très grandes" entreprises de plus de 1000 salariés et 450 millions d'euros de chiffre d'affaires. Cela exempterait environ 80% des entreprises précédemment assujetties. Ces modifications suivraient le même processus d'adoption et de mise en œuvre que les autres directives, avec une application effective probablement pas avant 2026-2027.
- Enfin, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) ferait l'objet de simplifications et d'exemptions. Un seuil d'exemption pour les petits importateurs permettant également de réduire de 80% le nombre d’entreprises assujetties serait introduit, et la mise en œuvre serait reportée à 2027. Les exigences de suivi des émissions seraient allégées, tandis que la couverture des produits resterait inchangée dans l'immédiat.
Quand ces changements vont-ils entrer en vigueur?
Bien que la proposition faite par la Commission donne une orientation assez claire, il faut réaliser que celle-ci pourrait être assez différente de la solution qui sera adoptée. En effet, il appartient maintenant au parlement européen de dialoguer avec le Conseil de l’Union Européenne pour valider une position qui fasse le consensus et en clarifier les détails, ce qui impliquera la réécriture et l'adaptation de nombreux textes réglementaires.
De ce fait, si pour la législation en vigueur (CSRD), on peut attendre des décisions cette année, pour d’autres éléments comme la CSDDD, on pourrait n’avoir de décisions qu’en 2026. Ce délai s'explique par la complexité des négociations et la nécessité d'harmoniser les différentes directives. Par ailleurs, Une fois adoptés au niveau européen, ces changements devront être transposés dans le droit national de chaque État membre, un processus qui peut prendre plusieurs mois, voire plus d'un an selon les pays.
Quelles actions pour les entreprises suisses?
Les annonces de la Commission Européenne laissent beaucoup de questions ouvertes mais ont tout de même certaines implications pour les entreprises suisses. Dans l’immédiat, il faut rappeler que les obligations de l’art. 964 CO sur la transparence en liens avec les questions non-financières entrées en vigueur en 2022 restent d’actualité pour les entreprises qui y sont soumises. Pour les entreprises européennes soumises à la CSRD et dont certaines font remonter des demandes à leurs fournisseurs suisses, la situation est similaire.
On peut dans le même temps supposer que l’avant-projet de loi sur l’adaptation du droit suisse (art 964CO) à la CSRD et pour lequel la consultation a pris fin en octobre 2024 sera mis en suspens en attendant le résultat des discussions européennes. Au vu des changements en Europe, il est probable que l’avant-projet soumis en 2024 soit allégé dans sa prochaine version.
En parallèle, l'initiative Multinationales Responsables 2.0 et qui traite du devoir de vigilance a atteint le nombre requis de signatures pour être validée . Alors que la version actuelle de la législation européenne (CSDDD) était plus contraignante que l’initiative, c’est aujourd’hui cette dernière qui semble plus exigeante.
Face à ces évolutions, certaines entreprises pourraient se demander s'il est encore pertinent d'entamer ou de poursuivre une démarche de durabilité. Il est ici essentiel de garder à l'esprit qu’indépendamment des discussions législatives, le climat continue de se réchauffer et les ressources naturelles s'amenuisent ; ainsi, les défis liés à la durabilité restent cruciaux pour façonner notre avenir collectif et assurer la résilience de l’économie.
Au-delà des contraintes perçues, ces défis représentent une occasion d’innover et de redonner du sens aux collaborateurs. Ils renforcent également la résilience des modèles économiques dans un monde où l'incertitude croît quant aux chaînes de valeur et à l'accès aux ressources. Ces transformations doivent être considérées comme une chance d'adopter des pratiques plus durables et adaptées aux réalités futures.
Pour structurer une démarche efficace vers la durabilité, commencez par réaliser un état des lieux de vos pratiques actuelles et analysez leurs impacts sur l’environnement, la société et l’économie. Interrogez vos parties prenantes internes et externes pour identifier les domaines nécessitant des améliorations et passez ensuite à l'action ! Une mise en œuvre réussie repose sur la formation et l’implication active des équipes.
Si vous ne savez pas par où commencer, n'hésitez pas à contacter la FER. Nous sommes là pour vous accompagner dans vos efforts vers des modèles d’affaire plus durables.