Transmission d’entreprise: faciliter le passage entre les générations

En résumé

Le droit évoluera en 2023. Si le changement est bienvenu, il ne remplace pas une planification en amont, estime Hubert Gilliéron, avocat.

Un avocat minimisant l’importance du droit: la situation peut étonner. C’est pourtant le cas d’Hubert Gilliéron. Le premier volet du nouveau droit successoral entrera en vigueur le 1er janvier 2023. «Les règles arrivant à brève et à moyenne échéance ne solutionneront pas tous les problèmes», avance l’avocat spécialisé dans le droit des sociétés. La loi permet de passer en force dans le pire des cas, au mieux d’aider. «Mais elle ne remplace pas une bonne planification», poursuit-il. Au sein de son étude, Hubert Gilliéron étudie quotidiennement des cas de transmission d’entreprise. Les clients font appel à ses services avant ou après le décès d’un entrepreneur. Dans ce dernier cas, lorsque rien n’est prévu, le règlement de querelles familiales peut compromettre la transmission de l’entreprise. Hubert Gilliéron suggère de préparer cette transmission du vivant de l’entrepreneur pour préserver la valeur de l’entreprise, tout comme l’harmonie familiale. «C’est une occasion de savoir suffisamment tôt si l’un des héritiers est intéressé ou non par l’entreprise et d’anticiper d’éventuelles solutions de rechange», ajoute-t-il.

L’AVANTAGE DE LA PRÉVOYANCE

La question de la transmission d’entreprise peut parfois se poser très tôt. «Pour certains entrepreneurs, elle débute au moment du choix des études de la génération suivante, puis lors de ses premiers pas dans l’entreprise», note l’avocat genevois. Le passage de témoin est ainsi préparé et se réalise dans la continuité. Cette étape peut durer six mois, cinq ans ou plusieurs décennies, en fonction des circonstances. Il voit un avantage à réaliser cette démarche dès que possible. «La nouvelle génération prend ses marques dès qu’elle a le pied à l’étrier. Ainsi, la transition se met en marche, tout en laissant le temps de désintéresser tout le monde de manière juste et équitable.» A cet égard, il recommande de faire procéder en amont à la valorisation de l’entreprise, par un professionnel indépendant. «Chacun des héritiers peut ainsi demander des informations et obtenir des réponses. Le sentiment d’injustice des non-repreneurs est alors considérablement réduit, ce qui facilite la transition, en particulier dans un contexte successoral», assure l’avocat.

Autre avantage d’une préparation: pouvoir restructurer la société en fonction des préférences des repreneurs. Hubert Gilliéron relate: «J’ai récemment étudié le dossier d’un entrepreneur agricole. Il avait plusieurs enfants avec des profils différents. L’un voulait être proche du travail de la terre, un autre plus proche du travail de transformation et un autre du travail commercial. Ils ont structuré le domaine autour de ces différentes activités. Chacun a trouvé son compte dans cette organisation, ce qui a permis de faire perdurer l’entreprise».

TENSIONS ET ENJEUX ÉMOTIONNELS

Transférer une société nouvelle peut coûter fiscalement très cher au vendeur. La transformer en société anonyme ou en société à responsabilité limitée cinq ans à l’avance permet de réduire la charge fiscale. La transmission de l’entreprise à l’un ou à l’autre des héritiers peut s’avérer problématique, notamment lorsque l’entreprise représente l’essentiel de la masse successorale. Dès le 1er janvier 2023, un entrepreneur pourra décider plus librement de l’attribution de son entreprise par une réduction de la part réservataire. Toujours à compter de cette date, une autre mesure offrira la possibilité d’exclure le conjoint de sa succession lorsqu’une procédure de divorce est en cours. Il est recommandé de modifier ses dispositions testamentaires en la forme prévue par la loi. «Un repreneur ne veut pas nécessairement devoir affronter le conjoint dont l’entrepreneur était séparé au moment de son décès, circonstances souvent à l’origine de tensions et d’enjeux émotionnels», précise Hubert Gilliéron.

DES LEVIERS SPÉCIFIQUES À VENIR

D’autres mesures plus spécifiques font partie d’un second volet. Un message a été édicté sur le sujet en juin 2022 par le Conseil fédéral. Ces propositions doivent encore être traitées par le parlement. L’une d’elles facilitera la transmission par voie successorale à un héritier. «L’objectif est de favoriser celui qui est déjà actif dans l’entreprise ou qui est le plus à même de la reprendre. Il pourra se voir attribuer l’intégralité des parts de l’entreprise, mais pourrait se voir obligé dans le même temps de racheter les parts des autres. Cela pourrait créer une pression financière supplémentaire pour certains repreneurs», avertit Hubert Gilliéron. Une autre mesure concernera la valorisation d’une entreprise transmise avant le décès de son propriétaire. La valeur de l’entreprise ainsi rapportée en tout ou partie dans la succession est actuellement calculée au moment du décès. Avec la mesure proposée, elle pourrait l’être à celui de la reprise. «C’est une bonne chose pour toutes les parties. Si le repreneur relève ou développe l’entreprise, il en bénéficie. Dans le cas inverse, les autres héritiers ne pâtissent pas d’une mauvaise gestion», conclut l’avocat. La date d’entrée en vigueur de ces mesures n’est pas encore connue, mais pourrait se situer en 2024, selon l’avancée des travaux parlementaires.


Quels outils pour bien préparer sa transmission?

Une bonne préparation est la clé d’une transmission réussie. La FER Genève organise chaque année des ateliers pour y parvenir. C’est l’occasion de présenter les solutions à destination des cédants et des repreneurs. La prochaine session débutera le 3 avril 2023. Autre possibilité: les solutions clés en main offertes par les banques et les sociétés spécialisées en transmission d’entreprise. Pour ces cas, les coûts de l’accompagnement peuvent être élevés en fonction de la valeur de l’entreprise. Il arrive qu’elles redirigent certaines entreprises, dont les PME, vers des partenaires, comme l’association Relève PME.

«Quelque 40% de ces PME restent en mains familiales et 20% sont reprises par les collaborateurs. Nous nous adressons aux entreprises se trouvant dans le pourcentage restant, quand le repreneur n’est pas clairement identifié», indique Anthony Montes, président de Relève PME. En d’autres termes, La problématique n’est pas nouvelle. Elle est même récurrente depuis une dizaine d’années avec le départ à la retraite des chefs d’entreprise de la génération du baby-boom. La plateforme numérique de Relève PME groupe les annonces d’entreprise à reprendre afin de mettre en contact les deux parties. «Nous conseillons aussi les PME ne pouvant pas supporter les coûts liés à une transmission, en les redirigeant uniquement vers les spécialistes dont elles ont besoin», poursuit Anthony Montes. Sur la question spécifique du financement de la transmission d’entreprise, la Fondetec – une fondation qui a pour but de promouvoir, de soutenir et d’aider au développement des entreprises ayant leur siège en Ville de Genève – propose des solutions. La Fondation d’aide aux entreprises peut cautionner un crédit bancaire sur l’ensemble du territoire genevois.

GÉRER L’HUMAIN AVANT TOUT

«Il y a plusieurs types de transmissions d’entreprise. Certains entrepreneurs l’entament quelques années avant la retraite, d’autres après 70 ans. Il existe aussi des chefs d’entreprise qui transmettent leur affaire à 40 ans, mais ce sont souvent des start-up», précise le président de Relève PME. Quel que soit le cas, la priorité est de gérer les aspects humains relatifs à ce passage de témoin. Certains entrepreneurs ne parlent pas de leur volonté de céder, pour une question de culture ou par peur d’en informer la concurrence. D’autres ne savent pas à quel moment présenter des documents confidentiels ou ont besoin d’être accompagnés dans une étape précise, comme la valorisation de leur entreprise.

Les réponses à ces interrogations, ainsi que de nombreux conseils sont à trouver dans Le guide de la transmission d’entreprise, édité par la FER Genève et disponible sur son site.


Témoignages

Ivan Slatkine

DIRECTEUR DES ÉDITIONS SLATKINE

«Ma famille est à la tête des éditions Slatkine depuis quatre générations. La transmission d’entreprise a été évoquée très en amont, bien avant le retrait de mon père des activités quotidiennes. Tout a toujours été clair entre nous sur ce sujet. Je fais partie de l’entreprise depuis vingt-cinq ans et je la dirige avec mon frère, Michel-Igor, ce qui a facilité l’approche et les questions des répartitions. Lorsque nous avons pris la suite de notre père, nous avons changé la forme juridique de l’entreprise familiale pour qu’elle devienne une société anonyme. Cette étape a été importante, car il est plus simple de transmettre une société par actions qu’une société en nom personnel. Nous avons travaillé avec une fiduciaire et des fiscalistes. Le droit successoral dans le canton de Genève a également permis de réaliser une donation avec un impact fiscal nul. La préparation a été une démarche fastidieuse. Elle a duré environ une année. Ensuite, tout s’est passé progressivement en interne. Si je devais donner un conseil à un patron, ce serait de réfléchir dès que possible à cette question de la continuité au sein de la famille. Si ce n’est pas le cas, il doit travailler dès que possible avec un spécialiste pour trouver la meilleure formule.» 


Serge Hiltpold

PATRON DE LA MENUISERIE HILTPOLD SA

«J’assure la direction de l’entreprise depuis mes 22 ans. La transmission a été réalisée par ma mère, à la suite du décès de mon père. C’était en 1993, je venais de terminer ma formation. À cette époque, j’étais déjà très intéressé par l’entreprise familiale. Je passais beaucoup de temps dans les locaux, après les cours et durant les vacances d’été. Le passage de flambeau s’est fait dans la bienveillance. Nous n’avons connu aucun problème dans la famille. Les ouvriers et les clients m’ont fait confiance. Le fait d’avoir monté les échelons a aidé dans cette transition. J’avais fait mes preuves à différents niveaux. Au fil du temps, j’ai appris à déléguer uniquement ce que je savais faire. Je pense que pour réussir une transmission, il faut beaucoup de conviction du côté du repreneur. Ce dernier doit avoir également de la considération pour le travail accompli par son prédécesseur et partager des valeurs communes. S’il n’est pas prêt à se «casser les dents», il doit faire autre chose. Ce type de choix ne doit pas être dicté par un schéma familial. De son côté, le cédant doit être présent, mais pas intrusif. L’idéal est de penser à cette transmission plus de cinq avant de la céder pour que tout se passe le mieux possible. Je prépare déjà la transmission de mon entreprise. Je souhaiterais que mes filles, déjà très impliquées, reprennent la menuiserie, mais ce n’est évidemment pas une obligation, et cela doit avoir du sens.»


Isabelle Harsch

CEO DE LA SOCIÉTÉ DE DÉMÉNAGEMENT HARSCH

«Je pense que chaque transmission est unique. De mon point de vue, le cédant a un rôle important à jouer auprès de celui qui reprend: il ne doit pas le discréditer, mais il doit au contraire laisser place à ses idées. Le plus important, c’est la préparation en amont. J’ai repris l’entreprise après avoir travaillé quatre années aux côtés de mon père. Nous avions une bonne relation et un respect mutuel. Il accueillait mes propositions avec bienveillance et était capable de remettre en question des manières de faire qui existaient depuis longtemps. De ce fait, j’ai pu amener mes idées progressivement et la transmission s’est faite de manière harmonieuse. La reprise d’une entreprise existante est une aubaine pour un jeune entrepreneur. Il peut bénéficier de l’expérience de son prédécesseur, du réseau de clients et des opportunités. Il y a en revanche une chose à ne pas faire: c’est reprendre une entreprise par devoir, et non par envie. Il ne faut pas imposer à ses enfants de reprendre l’entreprise et l’enfant ne doit pas s’opposer par principe à cette transmission.»