L’approvisionnement en matériaux de construction sérieusement perturbé

En résumé

La hausse de la demande mondiale et la baisse des capacités de production entraînent des goulets d’étranglement et des hausses de prix. Si les effets sont encore peu sensibles sur les chantiers, ils ne vont pas tarder à se manifester.

L’approvisionnement en matériaux de construction traverse une crise mondiale, qui touche pratiquement toutes les filières, et de manière encore plus marquée celles qui dépendent d’importations. «L’un de nos fournisseurs nous a annoncé sept hausses de janvier à mi-mai», relève Frédéric Plojoux, président de la Fédération Genevoise des Fournisseurs de la Construction et administrateur de Jérome SA, un des principaux acteurs du domaine dans le canton. Le phénomène n’est pas propre au bâtiment: la plupart des matières premières a sensiblement renchéri, ce qui peut poser des problèmes à d’autres secteurs, comme l’industrie.

SITUATION INÉDITE

La situation est totalement inédite, de l’avis général. La décennie 2010 s’était plutôt caractérisée par une baisse substantielle des prix. La pandémie de Covid-19 l’a stoppée net, en désorganisant les filières d’approvisionnement. Le fret maritime, notamment, ne parvient plus à répondre à la demande et ses prix ont beaucoup augmenté. L’offre de matériaux de construction a également baissé, des producteurs ayant fait faillite ou diminué leurs activités. La demande, elle, a sensiblement augmenté, avec la forte reprise enregistrée notamment en Chine et aux Etats-Unis, mais également dans plusieurs pays d’Europe.

Les difficultés se propagent selon un effet domino, comme l’illustre l’exemple du bois de construction. Faute d’en trouver assez en Amérique du Nord, les fournisseurs étasuniens se sont tournés vers l’Europe, où cette demande additionnelle a déséquilibré le secteur.

Les hausses de prix des matériaux sont donc devenues fréquentes. Cumulées, elles peuvent atteindre de 30% à 40%. Les délais de livraisons se sont aussi sensiblement allongés. «Nos fournisseurs nous livraient les profilés métalliques en deux à trois jours», raconte Frédéric Plojoux. «Il faut maintenant compter de six à huit semaines. Pour les tuyaux en plastique et PVC, ils ne parviennent même plus à donner de délais.»

QUOTAS

«Les fabricants de certains types de panneaux ont mis des quotas en place à l’intention de nos fournisseurs», ajoute Serge Hiltpold, à la tête de la menuiserie Hiltpold. «Nous n’arrivons plus à obtenir ce que nous voulons dans les temps. La validité des offres de nos fournisseurs, auparavant de soixante à nonante jours, est passée de huit à dix jours.»

Or, ces dernières décennies, le secteur fonctionnait selon la logique du juste-à-temps: on a pris l’habitude de commander les matériaux au dernier moment. Pour peu qu’elle n’ait pas de stock, ni la possibilité d’en faire, une entreprise s’expose à devoir exécuter des travaux avec des matériaux dont le prix a augmenté depuis qu’elle a élaboré son devis. «Dans ce cas, c’est notre marge qui diminue», raconte François Duret, directeur de l’entreprise de menuiserie et charpente Duret SA, à Thônex. «Pour certains chantiers, elle est même dans le rouge.»

INQUIÉTUDES

Les fabricants de fenêtres sont particulièrement inquiets. Dans ce domaine, le prix des matériaux est fixé lors de la signature des contrats, jusqu’à un an avant la réalisation. Or, environ 60% du chiffre d’affaires des fabricants est consacré à l’achat de matières premières et les marges sont faibles. Il est donc facile de se trouver dans le rouge.

Les entreprises du bâtiment tentent de se protéger tant bien que mal. La validité de leurs devis a été raccourcie, afin de ne pas risquer de décrocher un contrat impliquant l’emploi de matériaux dont le prix aurait augmenté entretemps. «Les nôtres étaient valables trois mois et, maintenant, plus que deux ou trois semaines», témoigne François Duret.

Ces difficultés peuvent entraîner des retards. «Parfois, une cloison manque et tout est bloqué», relève Serge Hiltpold. Elles engendrent aussi des surcoûts. La Fédération genevoise des métiers du bâtiment a pris les devants. Elle a envoyé un courrier aux partenaires genevois de la construction (promoteurs, mandataires, propriétaires, etc.). Il leur demande de tenir compte des circonstances extraordinaires dans la rémunération accordée aux entreprises du bâtiment et les délais d’exécution.

VAGUE D’ANNONCES

Il est encore trop tôt pour savoir si cet appel sera entendu. «Nous avons reçu une première vague d’annonces de surcoûts de la part des entreprises», raconte Carlo Zumbino, président de la section genevoise de la Société suisse des architectes et ingénieurs. «Elles doivent cependant nous fournir des justificatifs pour que nous puissions juger de leur bien-fondé, pour le compte des maîtres d’ouvrage.»

Ce n’est donc que peu à peu que les effets se feront sentir. Le canton de Genève s’attend à subir l’impact de la situation sur les chantiers dont il est le maître d’ouvrage, «mais il est impossible d’évaluer les effets concrets à ce stade», note Roland Godel, porte-parole du Département des infrastructures du canton de Genève. «Les chantiers durent en moyenne de deux à trois ans», remarque Philippe Angelozzi, secrétaire général de l’Association des promoteurs-constructeurs genevois. «Il est donc normal que les effets des hausses se manifestent avec un certain décalage. » «Nous nous attendons cependant à des hausses lors des prochaines soumissions», ajoute Romain Lavizzari, président de l’association, luimême promoteur au sein de la Compagnie Financière de Promotion Immobilière.

RELOCALISATION

L’industrie du bois réfléchit déjà à la manière de se prémunir contre de futurs épisodes de ce type. «Il existe encore suffisamment de scieries en Suisse, bien que beaucoup d’entre elles aient disparu», estime Serge Hiltpold, qui a participé aux réflexions à ce sujet au sein de Lignum, l’organisation faîtière de la filière. «Avant d’être utilisé, le bois subit cependant une seconde transformation (pré-débit, aboutage, lamellécollé). Elle est souvent faite à l’étranger, pour des raisons de coût. Il faudrait qu’une plus grande partie soit effectuée en Suisse, d’autant plus que c’est cette étape qui crée le plus de valeur ajoutée.»

«Il s’agit clairement d’une nouvelle tendance», constate Vincent Bujard, vice-président de la Fédération des associations d’architectes et d’ingénieurs de Genève. «Les maîtres d’ouvrage insistent de plus en plus pour que l’on utilise les matériaux de construction produits localement et que toutes les filières du recyclage soient exploitées au mieux, comme les matériaux issus de déconstructions ou la valorisation des matériaux d’excavation.» Les fabricants de fenêtres sont particulièrement inquiets. Dans ce domaine, le prix des matériaux est fixé lors de la signature des contrats, jusqu’à un an avant