Salaire soumis à condition: attention aux limites! Tout n’est pas permis

En résumé

Le Tribunal fédéral vient de se prononcer sur deux situations où l’employeur avait prévu des conditions au versement du salaire.

Le Tribunal fédéral vient de se prononcer sur deux situations où l’employeur avait prévu des conditions au versement du salaire. La première affaire1 porte sur la question suivante: un employeur a-t-il le droit de fidéliser un employé en prévoyant que celui-ci doit rembourser une partie de son salaire s’il met fin à son contrat de travail de manière anticipée? En d’autres termes, l’employeur a-t-il le droit de conditionner le versement d’une partie du salaire à la présence de l’employé dans l’entreprise jusqu’à une certaine date (voir point I ci-dessous)? Dans la seconde affaire2, le contrat de travail prévoyait une réduction unilatérale de salaire si certaines conditions prédéfinies liées à la non-performance économique de l’employé étaient réalisées (voir point II ci-dessous).

I. Résiliation du contrat avant une certaine date: condition licite au remboursement ou au non-versement du salaire?

Le 1er octobre 2010, un directeur général avait signé un contrat de travail qui prévoyait, outre un salaire fixe, le versement d’un salaire variable. Le contrat de travail conditionnait toutefois ce salaire variable. Plus précisément, le contrat prévoyait que le salaire variable perçu serait remboursé dans son intégralité par l’employé s’il devait mettre un terme au contrat de travail avant le 31 décembre 2015. Le 25 mars 2014, l’employé a résilié son contrat de travail avec effet au 30 juin 2014. Un litige est alors né entre les parties sur la validité ou non de la clause de remboursement du salaire variable.

Amené à devoir se prononcer sur cette affaire, le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que le salaire est la rémunération que l’employeur est tenu de payer à l’employé pour le temps ou pour le travail que celui- ci a consacré à son service et qui est fixé soit directement par contrat individuel, soit indirectement par contrat-type de travail ou par convention collective de travail (art. 322 al. 1 CO). Selon le Tribunal fédéral, contrairement à la gratification, la fonction même du salaire exclut la possibilité pour l’employeur de soumettre la rémunération d’une prestation de travail déjà accomplie à une condition selon laquelle le salarié devrait encore se trouver dans l’entreprise, ou ne pas avoir donné ni reçu son congé. Il en va de même d’une éventuelle clause de remboursement. Il importe peu que l’employé ait donné son accord à une semblable condition. En effet, celui-ci ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultants de dispositions impératives de la loi (art. 341 al. 1 CO). Une telle renonciation présente un caractère illicite; elle est donc nulle et non avenue (art. 20 CO). Le salaire variable était donc dû à l’employé, la condition prévue par le contrat de travail n’étant pas valable.

II. Réduction de salaire prévue par le contrat en cas de non-performance économique

Un courtier en valeurs financières avait été engagé par une société de courtage financier comme directeur responsable du département des actions. S’agissant de sa rémunération, le contrat rédigé en anglais prévoyait un Fixed Draw de 502 900 francs suisses par an, susceptible d’être réduit par l’employeur à certaines conditions prédéfinies. Plus précisément, les parties entendaient lier, dans une certaine mesure, le Fixed Draw de l’employé aux commissions qu’il était censé générer avec son département. Dans son contrat, l’employé reconnaissait devoir générer des revenus sur commissions non inférieurs à deux ou trois fois son Fixed Draw et acceptait que la société mette en oeuvre un contrôle de son activité en référence à ce standard. Conséquence de ce lien, le contrat réservait expressément à l’employeur le droit de réduire le Fixed Draw si certains résultats n’étaient pas réalisés durant une certaine période de temps. Le Fixed Draw pouvait ensuite être ré-augmenté en cas de bonnes performances.

Par courrier du 20 septembre 2011, l’employeur a informé l’employé que son salaire serait réduit, les conditions contractuelles d’une réduction étant réalisées. A compter du 1er octobre 2011, le salaire annuel de 502 900 francs est passé à 120 000 francs. Devant le Tribunal fédéral, l’employé ne discute plus en soi la licéité de la clause par laquelle l’employeur se réserve la possibilité de réduire unilatéralement le salaire, à des conditions prédéfinies. Il plaide en revanche que la clause reviendrait à lui faire supporter le risque de l’entreprise, ce qui ne serait pas admissible au regard de l’art. 324 CO. Il rappelle que son salaire était fixé en francs suisses tandis que son département réalisait l'essentiel de ses revenus en euros.

Le Tribunal fédéral rappelle qu’il résulte de l’art. 324 al. 1 CO que le risque de l’entreprise incombe à l’employeur. Cela étant, il est admis que le travailleur ou le voyageur de commerce soit rémunéré exclusivement à la commission, pour autant que cette rémunération soit convenable (art. 349a al. 2 CO, applicable par analogie au contrat de travail). Le principe selon lequel l’employeur supporte le risque de l’entreprise n’est ainsi pas dépourvu de nuances. En l’occurrence, l'employé a consenti au système mis en place en signant le contrat. Vu son expérience professionnelle, il ne pouvait ignorer que les revenus de son département seraient très souvent en monnaies étrangères alors que sa rémunération était en francs suisses. Il a néanmoins consenti à ce que celle-ci soit calculée d’après le revenu du département, avec le risque qu’une baisse du cours de change influe sur sa rémunération. Enfin, nonobstant cette baisse du cours, l’employé touchait une rémunération convenable. En effet, après la réduction de salaire corrigée par les juges cantonaux conformément aux conditions contractuelles prédéfinies, l’employé avait droit à un salaire mensuel de 13 635 francs.

III. Conclusion

En conclusion, le salaire peut être soumis à des conditions, mais pas n’importe lesquelles. Il peut ainsi être conditionné à la performance de l’entreprise, de l’un de ses départements et/ ou de l’employé. En revanche, le paiement du salaire ne saurait dépendre de la non-résiliation du contrat avant une certaine date.

1 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_158/2019 du 26 février 2020.
2 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2018 du 29 janvier 2020.