Jumeaux numériques: la médecine et l’industrie de demain?

En résumé

Dans quelques années, chacun pourrait avoir un clone numérique. Traitements médicaux, opérations ou prothèses seraient d’abord testés et élaborés sur ce jumeau numérique. Pour en arriver là, il faut encore résoudre de nombreux problèmes éthiques et financiers. Cette technologie répond aussi aux besoins de l’industrie.

Dans quelques années, chacun pourrait avoir un double en version numérique. Celui-ci contiendrait toutes ses données médicales: groupe sanguin, antécédents médicaux, état des organes, allergies, etc. Il servirait à prévenir des maladies ou à tester des traitements médicaux. Une révolution pour le domaine médical, qui pose toutefois des questions éthiques en ce qui concerne la protection et l’utilisation, par des entreprises privées, des données personnelles.

ORGANES EN DOUBLE

La technologie du jumeau numérique existe déjà. Particulièrement exploitée dans l’industrie, elle reste limitée dans le monde de la santé. De nos jours, il est possible de cloner un œil ou une aorte, mais pas un corps entier. Le jumeau numérique est une modélisation numérique d’un système réel. Véritable réplique virtuelle d’un objet physique ou d’un processus, il permet de reproduire des fonctionnalités similaires et de simuler fonctionnements et performances dans un cadre réel.

UNE TECHNOLOGIE QUI COÛTE CHER

La rareté du jumeau numérique provient du fait que sa réalisation demande de sérieuses compétences interdisciplinaires et un financement élevé. Sa mise en place coûte plusieurs milliers, voire plusieurs millions de francs. Il faut compter le stockage et le traitement des données, la formation nécessaire pour l’utiliser puisqu’il demande d’avoir des connaissances en ingénierie, en machine learning et en médecine.

Son coût pourrait toutefois être amorti par plusieurs avantages: une accélération du développement des traitements, une diminution des coûts de recherche et une réduction des essais sur l’homme et sur l’animal. Par exemple, une prothèse pourra être créée et testée directement sur le double virtuel du patient. Cela garantira un résultat parfaitement adapté dès le premier essai. En temps normal, il faut plusieurs tests et rectifications avant d’obtenir la prothèse idéale, ce qui peut coûter cher et prendre beaucoup de temps. 

En 2019, un cas concret a montré l’efficacité d’un double virtuel. Au CHU de Bordeaux, la reconstruction virtuelle du cœur d’un patient a été testée. Celleci a eu lieu dans le cadre d’une resynchronisation cardiaque. Lors de cette opération, les cardiologues doivent implanter un pacemaker qui fournit des impulsions électriques pour stimuler les muscles. Or, pour être efficaces, les électrodes doivent être parfaitement placées sur les ventricules. C’est là que la copie numérique du cœur intervient. Grâce à elle, les cardiologues ont pu tester différentes approches et choisir la meilleure sans risque pour le patient.

LA QUESTION DE L’ÉTHIQUE

Pour développer un jumeau numérique, il faut avoir de nombreuses données privées concernant la personne, dont certaines sont soumises au secret médical. Ces données appartiendraient à une entreprise publique ou privée. Pour de nombreux spécialistes, le problème du jumeau numérique réside dans l’exploitation des données et des risques qui en découlent, comme une fuite, un vol ou une revente, qui sont des peurs qui bloquent le développement de cette technologie.

A cette question s’ajoute un autre dilemme éthique, celui des essais cliniques. Le jumeau numérique permettrait de tester de nouveaux traitements sans passer par des tests sur des patients. A priori, on pourrait penser que c’est une bonne chose, mais ne pas tester un traitement sur de vrais malades avant de le mettre sur le marché amène à un choix épineux. «Bien sûr, cela soulève des questions éthiques: préféreriez-vous utiliser un outil ou un médicament testé sur des millions de patients numériques ou sur quelques dizaines d’humains? Il est extrêmement complexe d’y répondre. Pour le moment, ces usages sont plutôt  envisagés comme un soutien, une première étape avant les tests physiques», expliquait Nina Miolane, chercheuse à l’Institut national français de recherche en sciences et technologies du numérique et à Stanford, au magazine Numera. 

LA PANDÉMIE EN TANT QU’ACCÉLÉRATRICE

Selon la dernière étude de MarketsandMarkets, un centre de recherche spécialisé dans les études de marché, la pandémie a joué un rôle d’accélérateur dans le développement de la technologie du jumeau numérique. «Avec la crise du Covid-19, des acteurs de l’industrie médicale se sont mis à développer des jumeaux numériques qui permettent de déterminer si une personne est malade, asymptomatique ou si elle a été en contact avec des gens infectés. Une telle solution permet de mieux déterminer les zones les plus infectées dans le monde», explique le rapport. 

Même son de cloche du côté des entreprises qui ont dû assurer le même niveau de production, mais avec moins de travailleurs et de nombreuses mesures sanitaires contraignantes. L’utilisation de jumeaux numériques permet «d’étendre les capacités, d’augmenter la flexibilité et de limiter les risques de défaillance». BMW a récemment fait appel à cette technologie afin de créer un double virtuel de l’une de ses futures usines. «L’objectif est de permettre d’évaluer les modifications et les ajustements dès les premières étapes de la planification afin de créer une vue d’ensemble. Cette transparence extrême permettra aux planificateurs et aux spécialistes de créer des systèmes de production très complexes de manière rapide et précise, sans pertes d’interface ni problèmes de compatibilité», indique BMW dans son communiqué. 

La pandémie a donc permis au jumeau numérique de se développer et de s’immiscer dans les différents marchés. D’une valeur de 3,1 milliards de dollars en 2020, le marché du «digital twin» devrait atteindre les 48,2 milliards de dollars en 2026, selon MarketsandMarkets.