Les chercheurs suisses ont besoin de l’UE

En résumé

Vouloir maintenir une recherche de pointe sans participer de plein droit aux programmes européens équivaut à vouloir monter la meilleure équipe de football au monde en ne participant qu’au championnat suisse, estime le vice-recteur de l’Université de Genève.

Si la prospérité de la Suisse dépend notamment de l’excellence de sa recherche scientifique, celle-ci dépend aussi des bonnes relations du pays avec l’Union européenne (UE). C’est ce qu’a expliqué Jean-Marc Triscone, vice-recteur de l’Université de Genève, lors d’une conférence sur les relations Suisse et Europe organisée par la FER Genève le 22 avril.

Pourquoi cette dépendance? Parce que les recherches sont de plus en plus pointues, que ce soit en informatique quantique, en biotechnologies, dans le domaine spatial ou en médecine. Or, un pays de la taille de la Suisse n’a pas la masse critique pour se maintenir à la pointe. «Ce serait comme espérer former la meilleure équipe de football du monde en ne jouant que le championnat suisse», image Jean-Marc Triscone. Elle doit donc s’intégrer dans un ensemble plus vaste. Cela lui permet notamment de participer à d’énormes programmes de recherche, permet tant à des équipes de plusieurs pays de collaborer, comme le programme Horizon 2020, «le plus important du monde», note Blaise Matthey, directeur général de la FER Genève. C’est un peu l’équivalent de la Champions League en football, pour continuer dans la métaphore sportive. La Suisse doit également attirer les meilleurs professeurs et étudiants – 42% des chercheurs du pays sont d’ailleurs citoyens de pays membres de l’UE, et de nombreuses entreprises de pointe ont été créées par des étrangers ou des Suisses d’adoption.

Quand la politique s'en mêle…

Or, la place enviable de la Suisse en matière de recherche est de plus en plus menacée par les évolutions politiques. La participation pleine et entière de la Suisse aux programmes européens a été bloquée à la suite de l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse, en 2014. Les équipes suisses coordonnaient alors neuf cent quinze recherches. Lors du programme suivant, ce nombre est tombé à quinze. «La participation pleine et entière de la Suisse n’a été débloquée qu’après qu’elle ait mis en oeuvre l’initiative de manière jugée conforme à l’accord sur la libre-circulation et qu’elle ait ratifié l’accord de libre-circulation avec la Croatie», rappelle Christine Kaddous, professeure de droit à l’Université de Genève. «Le nombre de recherches coordonnées par des équipes suisses n’a cependant jamais retrouvé le niveau d’avant la votation», note Jean- Marc Triscone. Pourrait-on compenser le relâchement des relations avec l’UE par une collaboration plus étroite avec les Etats-Unis ou l’Asie? Des collaborations avec des chercheurs d’outre-mer ont déjà lieu lorsque c’est possible, répond Christine Kaddous, mais «il est beaucoup plus facile de coopérer avec des chercheurs européens, pour des raisons de proximité géographique et culturelle», ajoute Jean-Marc Triscone. Quiconque a déjà dû agender une réunion avec des interlocuteurs répartis sur différents fuseaux horaires le comprendra aisément.

Bref, pour maintenir sa prospérité, la Suisse a besoin d’une recherche de pointe. Et pour cela, elle doit coopérer et s’entendre avec l’Europe, plutôt que de la peindre comme le Shaitane Bu zur (Grand Satan, en persan).