La procrastination, ou l'art de toujours tout reporter à plus tard

En résumé

La procrastination s’est infiltrée partout: du plus haut niveau des États jusqu’au plus intime de nos vies.

La procrastination s’est infiltrée partout: du plus haut niveau des États jusqu’au plus intime de nos vies. Ainsi, l’exécutif français procrastine en laissant augmenter la dette publique plutôt que de prendre des mesures pour la réduire. De même, il procrastine en organisant deux ans de débats sur le régime des retraites et en souhaitant une trêve de Noël plutôt que de proposer la loi une fois pour toutes. Et un bon tiers des contribuables suisses procrastinent en ne rendant pas leur déclaration d'impôt dans le délai imparti par les autorités fiscales. Pourquoi?

Procrastiner peut sembler anodin. Pourtant, cette tendance à faire le lendemain ce que l’on pourrait accomplir le jour même est souvent source de stress, amène des sentiments de culpabilité et développe la sensation d’échec. Comment expliquer la procrastination et la combattre? Comme souvent, les avis des experts divergent et les recettes sont multiples. Certains psychologues font le lien avec la peur de mourir. Achever une tâche, accomplir ce qui doit l’être, c’est d’une certaine manière accepter que tout a une fin: concrétiser, c’est mourir un peu. Selon Freud, la procrastination reposerait même sur le principe du plaisir: notre anxiété nous inciterait à différer les activités impératives et stressantes et à privilégier des tâches facultatives et agréables. Dit simplement: le plaisir immédiat avant la satisfaction du devoir accompli. Il existe plusieurs types de procrastinateurs, qui peuvent influencer l’attitude des responsables et des collaborateurs au sein d’une organisation.

Le perfectionniste

Il passe trop de temps dans l’analyse et les détails, de sorte qu’il finit ses projets et prend ses décisions dans la vitesse et la précipitation. Ainsi, en fin de compte, il aboutit exactement à ce qu’il voulait éviter. Les collaborateurs du perfectionniste sont souvent frustrés car ils attendent une décision. En allemand, il existe un beau mot pour expliquer ce comportement: on dit que le responsable manque de Entscheidungsfreudigkeit. La formation continue a une part de responsabilité dans cet état de fait. Nous passons probablement trop de temps sur les instruments qui permettent l’analyse, et pas assez de temps sur la capacité à synthétiser. Or, la décision et l’action sont du côté de la synthèse. Trop d’analyse conduit à la paralysie!

Le craintif

Il reporte ses tâches surtout quand il a un travail désagréable ou ennuyeux. Cette tendance est étroitement liée au manque de motivation inhérente aux emplois qui deviennent répétitifs ou pour lesquels le collaborateur ne reçoit aucun retour sur la qualité de son travail. Il a peut-être aussi peur de prendre des risques, peur de l’échec. Contrairement aux Etats-Unis, nous avons en Suisse encore de la peine à accepter que l’échec fasse partie de la réussite. L’échec nous reste collé comme le sparadrap du capitaine Haddock, alors qu’aux Etats-Unis, un candidat qui n’a pas connu d’échec devient suspect: on dit de lui qu’il ne sait pas prendre de risques!

Le submergé

Il a tant à entreprendre et tellement de soucis en tête qu’il ne sait pas par où commencer. Il est débordé et a la tête sous l’eau. Il est dès lors fréquent que cela mène à un blocage mental qui l’empêche même de commencer à travailler. On est proche du fameux burn out, qui peut mener à la stagnation. Dans cette situation, son responsable a un rôle clé à jouer, celui de l’aider à fixer des priorités.

Le chanceux

Il reste un dernier type de procrastinateur, le chanceux! C’est un optimiste qui considère qu’il ne travaille bien que lorsqu’il est sous pression. Il ose l’apologie de la procrastination. Il pense être plus créatif dans l’urgence. C’est pourquoi il reporte ses tâches jusqu’à l’ultime instant et se trouve sous la pression du temps alors qu’il avait largement la possibilité de commencer bien avant. On notera au passage qu’une question classique (pour ne pas dire bateau) du recruteur consiste à demander au candidat s’il est capable de travailler sous pression.

Quelles bonnes résolutions prendre en ce début d’année pour combattre la procrastination? Essayons de comprendre ce qui nous conduit à sans cesse retarder le passage à l’acte. Faible confiance en soi, manque de motivation, manque de concentration, délais trop éloignés, peur du vide? Exerçons-nous à décider plus vite. Faisons aujourd’hui ce que nous espérions pouvoir retarder à demain. Mieux: achevons aujourd’hui ce qui pourrait raisonnablement être achevé demain. On parle souvent du risque de décider trop vite. Mais qu’en est-il du défaut de décider trop lentement, trop tard ou jamais? Soyons conscients qu’à force de laisser perdurer une situation qu’on croit modulable, on finira par la rendre irréversible. Un mois avant la chute du Mur de Berlin, lors de la célébration des quarante ans de la République démocratique allemande (RDA), Mikhaïl Gorbatchev avait lancé cet avertissement: «La vie punit celui qui arrive trop tard». Les dirigeants de la RDA ont eu l’occasion de le vérifier peu après. C’est aussi valable en management et c’est le risque inhérent à la procrastination!