Initiatives antipesticides: la parole aux agriculteurs

En résumé

Si l’on trouve des agriculteurs dans les deux camps, ils sont dans leur très large majorité opposés aux deux initiatives antipesticides - Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse et Pour une eau potable propre -, sur lesquelles nous voterons le 13 juin. Trois d’entre eux expliquent pourquoi.

Christophe Bosson, agriculture de conservation

«Le CO2 stocké en vingt-cinq ans serait relâché en quelques années»

Alors qu’en 2012, l’agriculture genevoise émettait 1% des gaz à effet de serre du canton, la tendance s’est inversée en 2014. Elle stocke maintenant plus de CO2 qu’elle n’en émet. On le doit à une minorité d’agriculteurs pratiquant ce qu’on appelle l’agriculture de conservation, qui transforme les champs en puits à carbone. Leur travail serait cependant remis en cause par l’acceptation des initiatives antipesticides. Christophe Bosson est l’un des pionniers de cette approche à Genève. Après avoir commencé à travailler en agriculture conventionnelle, il est passé à l’agriculture de conservation depuis 2005. Ses méthodes ne cessent de s’affiner, au gré des expériences et des essais menés sur ses terres, en collaboration avec AgriGenève, la faîtière du secteur.

Squelette du sol

L’agriculture, qu’elle soit bio ou conventionnelle, émet du CO2. Le labour, notamment, a des conséquences indésirables. «L’humus, qui est le squelette du sol, est constitué de carbone», explique Christophe Bosson. «Lorsqu’on aère le sol, on apporte de l’oxygène, qui se lie à lui et forme du CO2, qui est relâché dans l’atmosphère.» De plus, le labour détruit les mauvaises herbes, mais aussi beaucoup d’autres organismes vivant dans le sol. L’agriculture de conservation y renonce donc.

Elle promeut une rotation améliorée des cultures, de manière à empêcher les mauvaises herbes de s’installer sur une parcelle dont elles apprécient la culture. Enfin, elle sème systématiquement un couvert végétal entre une récolte et la prochaine culture. Il empêche que des mauvaises herbes ne se développent. Puis, avant de semer, on l’écrase. Il vient nourrir le sol et le rend plus vivant, ce qui limite le besoin d’apporter des engrais. Cela stocke également le CO2 qu’il a capturé lors de sa croissance. On sème ce que l’on appelle des plantes compagnes, qui croissent entre les rangées de la culture et occupent la place que pourraient prendre les mauvaises herbes. Certaines sont également appréciées des ravageurs, qui s’en nourrissent plutôt que de s’attaquer à la culture principale.

Reste qu’on n’échappe pas à un peu de désherbage, même si c’est avec un usage très modéré des produits phytosanitaires. «L’agriculture de conservation sans pesticides serait le Graal», rêve Christophe Bosson. «Nous n’y sommes pas encore. Nous menons des essais, avec AgriGenève, nous regardons ce qui se fait en France, en Italie, en Allemagne... Mais l’expérimentation n’est pas facile et a besoin de temps. La terre n’est pas un laboratoire; un essai nous prend un an.»

Des solutions techniques commencent à émerger, mais elles requièrent des machines très onéreuses et un travail beaucoup plus intensif. Bref, elles sont très difficiles à rentabiliser. «Je peux traiter vingt-cinq hectares en trois heures avec un herbicide utilisé en quantité très limitée», remarque Christophe Bosson. «Si je désherbe de manière mécanique, il me faudra entre douze et vingt-cinq jours. Qui va payer ce travail? On nous demande d’être efficients, de contenir nos coûts, puis tout d’un coup, de ne plus l’être, mais sans nous permettre de couvrir nos frais.»

Enfin, faute de pouvoir utiliser des pesticides, Christophe Bosson risque de devoir renoncer à l’agriculture de conservation et de revenir au labour. «Tout le carbone que nous avons stocké en vingt-cinq ans dans les sols sera relâché quelques années», craint-il.

Famille Grolimund, les volailles du Nant-d'Avril

Elevage modèle… et menacé

S’il y a une chose dont les Grolimund sont fiers, c’est du niveau d’hygiène et de bien-être que leur exploitation offre aux quelque huit mille volailles qu’ils élèvent à Satigny (GE): les volailles du Nant d’Avril, issues d’un croisement qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui sont essentiellement destinées aux restaurants gastronomiques et les volailles du Pré-Gentil, labellisées Genève Région Terre Avenir (GRTA), qui sont notamment écoulées dans la grande distribution.

Tous les animaux ont accès au plein air. Leur nombre est limité en fonction de l’espace disponible. Les abris sont climatisés et équipés de caméras, qui permettent au vétérinaire de les suivre à distance. La volaille subit des analyses sérologiques tous les quatre mois, afin qu’on puisse compléter d’éventuelles carences alimentaires. L’eau qu’elle boit est régulièrement analysée et son alimentation enrichie en vitamines et huiles essentielles. Le sol de béton est recouvert d’un mélange à base de gruau, doux pour ses pattes.

Il y a six ans que les Grolimund n’ont plus utilisé d’antibiotiques, grâce à une approche baptisée biosécurité, reposant sur des règles d’hygiène et de désinfection très strictes. Le sol de béton empêche des vers de monter et d’apporter des maladies. Les spores du béton sont bouchés avec de la résine, pour éviter que des bactéries s’y installent. Des bactéries saines sont introduites, afin d’occuper la place que pourraient prendre les nocives. Etc. «Nous recevons tous les ans la visite des écoles vétérinaires de Toulouse et de Bordeaux, qui viennent voir ce que l’on fait», raconte Yves Grolimund.

Privés de paiements directs?

Une exploitation modèle, donc? Pas pour l’initiative Pour une eau potable propre. Elle exige notamment que les paiements directs ne puissent être accordés qu’aux exploitations qui parviennent à nourrir leurs animaux avec leur propre fourrage. Les Grolimund possèdent certes soixante hectares de grandes cultures, cultivés selon les principes de l’agriculture de conservation (lire ci-dessus). Cela ne fournit cependant que 30% à 40% de l’alimentation des volailles, le reste étant acheté aux voisins. L’exploitation utilise de moins en moins de pesticides, mais si elle devait s’en passer totalement, ce taux baisserait encore. Le même problème se poserait pour les vingt-cinq chevaux que les Grolimund gardent en pension.

Tout le modèle devrait être revu et le nombre d’animaux drastiquement réduit. L’investissement consenti pour le bâtiment des volailles GRTA ne pourrait pas être amorti. Un autre investissement a été gelé dans l’attente des résultats de la votation: l’achat de tunnels amovibles surmontés de panneaux solaires, pour les volailles du Nant d’Avril. «Si l’initiative passait, nous ne pourrions plus produire autant, mais qu’est-ce que les gens mangeraient à la place?» demande Yves Grolimund. «Du poulet sud-américain bourré d’antibiotiques et lavé au chlore?»

L’initiative Pour une eau potable propre vise aussi les antibiotiques. Un risque pour les Grolimund, même s’ils n’en ont pas utilisé depuis six ans. «Ce n’est pas parce que nous parvenons à nous en passer que nous n’en aurons pas besoin un jour, dans des circonstances exceptionnelles», juge Yves Grolimund. «L’agriculture va dans le sens de l’initiative, mais cela prend du temps. On ne peut pas aller aussi vite, ni de manière aussi carrée.»

Georges Vuillod, Biosaveurs

Maraîcher bio… et inquiet

On pourrait penser que des initiatives visant à décourager ou à interdire l’usage des pesticides ne poseraient pas de problèmes à un maraîcher passé au bio en 2009. Erreur. Georges Vuillod, cofondateur de Biosaveurs, à Bardonnex (GE), estime qu’il serait sérieusement pénalisé au cas où elles étaient acceptées.

Son exploitation couvre quatre-vingt hectares. La majorité des légumes sont vendus frais, par l’intermédiaire de l’Union maraîchère et de Bioromandie, deux coopératives de producteurs. Certains ne peuvent cependant pas l’être, parce qu’ils sont biscornus ou ont des défauts. Plutôt que de s’en débarrasser, il les transforme en julienne, cubes et soupes, dans ses locaux. «Ce sont mes parents qui ont eu cette idée dans les années 1960, pour lutter contre le gaspillage», raconte-t-il. Cela permet également de mieux valoriser les récoltes.

L’initiative Pour une eau potable propre demande de priver de paiements directs les exploitations ayant recours à des pesticides. Or, on en utilise aussi en bio, même s’ils sont d’origine naturelle. «Actuellement, nous perdons en moyenne 10% des récoltes», explique Georges Vuillod. «Sans pesticides, certaines années, on ne perdrait rien, d’autres années, on en perdrait la moitié. Ce serait la loterie.»

De plus, alors que tout un chacun est d’ores et déjà libre d’acheter bio, la filière ne représente qu’un peu plus de 10% des ventes. «Si tous les paysans s’y mettent, l’offre dépassera la demande et les prix risquent de s’effondrer», craint Georges Vuillod. «Or, le bio exige plus de main-d’œuvre et a un rendement moindre. Il coûte donc plus cher à produire, de 20% à 40% selon les cultures. On risque de passer en-dessous du seuil de rentabilité.»

L’initiative augmenterait le prix des produits suisses, mais pas des importations. La part de marché des premiers risquerait donc de diminuer au profit de produits soumis à des règles beaucoup moins strictes. «On exportera nos problèmes», résume Georges Vuillod.

Quant à l’initiative Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse, elle n’autoriserait que l’importation de produits bio, ce qui conduirait à une hausse générale du prix des denrées alimentaires. «Le tourisme d’achat augmenterait donc fortement», craint Georges Vuillod. «De plus, les produits bio étrangers ne suivent pas les mêmes règles qu’en Suisse et je ne pense pas que les contrôles soient partout aussi stricts qu’ici.»

Georges Vuillod est loin d’être un cas isolé parmi les agriculteurs bio. La faîtière Bio Suisse a ainsi rejeté l’initiative eaux propres.