Des champignons pour dépolluer les sols

En résumé

Cultivés sur un sol pollué, certains champignons peuvent dégrader une grande quantité d’hydrocarbures en quelques mois. Une start-up genevoise met cette approche en pratique. Un projet distinct veut aussi l’appliquer à la dépollution des eaux.

Utilisée en Amérique du Nord depuis des décennies, la dépollution à l’aide de champignons est à l’origine de deux initiatives distinctes à Genève. La start-up Edaphos s’est lancée dans la dépollution des sols. Le projet mycH2Opure (prononcez micopure), pour sa part, s’intéresse également aux eaux (lire l’encadré ci-dessous). Dans les deux cas, les besoins sont substantiels. Des décennies d’activités industrielles menées sans grand souci pour l’environnement ont entraîné de nombreuses pollutions des sols, notamment par les hydrocarbures. Or, avant de construire sur un site contaminé, il faut l’assainir. La méthode la plus utilisée consiste à extraire le sol pollué et à l’incinérer dans des installations souvent lointaines, ce qui génère un intense trafic de poids lourds. «C’est à la fois insatisfaisant et extrêmement cher», explique François Lefort, professeur à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (hepia). Pour un chantier moyen, la facture se chiffre vite en millions, voire en dizaines de millions de francs. Certaines pollutions peuvent être traitées en injectant des détergents dans le sol ou en récupérant ce dernier et en le soumettant à des cycles de lessivage, «mais cela ne fonctionne pas avec de très grands volumes ou des sites très pollués», remarque le spécialiste.

Bioremédiation

Voilà donc une cinquantaine d’années qu’on cherche des approches de dépollution basées sur des organismes vivants – ce qu’on appelle la bioremédiation. Les Etats-Unis et le Canada ont misé sur les champignons. Des méthodes y ont été mises au point, mais elles restent encore peu utilisées.

L’Europe a misé sur les plantes, puis sur les bactéries. «De nombreuses recherches ont été menées, mais à ma connaissance, elles n’ont débouché que sur de rares solutions clé en mains», commente François Lefort. L’usage des plantes n’est d’ailleurs pas sans risque. «Elles stockent les polluants, qui ne sont que peu détruits», relève Clément Deprade, fondateur de Deprade Paysage Environnement et initiateur du projet mycH2Opure. «Si un problème se produit, la pollution peut être à nouveau libérée.» Le recours à des champignons, en revanche, est à la fois économique et écologique, affirment les promoteurs de l’approche. «De nombreux champignons se nourrissent de lignine (l’un des composants du bois - ndlr)», explique Clément Deprade. «Ils ne font pas la différence entre cette substance et les hydrocarbures.» Ils n’absorbent donc pas simplement ces derniers, mais les décomposent en molécules plus simples dont ils se nourrissent.

Le facteur temps

L’approche entraîne cependant une contrainte: elle prend du temps – comptez en mois. «L’idéal est de l’intégrer dès la conception du chantier», relève Matthieu Pillet, fondateur d’Edaphos. Cette start-up a été créée en 2018 pour mettre en pratique cette approche et jouit du soutien de l’incubateur Fongit. L’intervention commence par une analyse du sol ou des matériaux à traiter ainsi que des polluants à éliminer. La méthode n’est pas adaptée à tous les environnements. «Les champignons ont besoin d’oxygène», explique Matthieu Pilet. «Ils ne pourront pas se développer dans un sol argileux très compact.» La start-up possède une «champignothèque» d’une trentaine de souches sélectionnées en collaboration avec l’hepia. Toutes sont locales. «Si nous utilisions des souches venues d’ailleurs, elles pourraient déséquilibrer les écosystèmes», remarque Matthieu Pillet.

Une fois la situation analysée, on inocule dans le sol ou les matériaux d’excavation une solution comprenant le mycélium (filaments) des souches de champignons sélectionnées. Il ne reste plus qu’à attendre. Au bout de trois à six mois, les champignons ont «mangé» une partie substantielle des hydrocarbures. Un projet pilote a été mené sur le site d’un ancien local de stockage d’engins, dans la zone industrielle de Plan-les-Ouates. Cinq cents mètres cubes de matériaux d’excavation fortement pollués ont été traités par Edaphos en collaboration avec l’entreprise de génie civil Piasio. On est arrivé à une diminution de 75% des hydrocarbures du sol en cinq mois.

Usine à solutions fongiques

Une filiale de la jeune pousse a commencé à construire une usine pour pouvoir produire de gros volumes de ses solutions fongiques. Edaphos mène parallèlement des recherches pour accélérer le processus de dépollution et pour l’appliquer à d’autres types de polluants: produits chimiques, métaux lourds, etc. Ces derniers sont moins faciles à traiter que les hydrocarbures, puisque les champignons les absorbent, mais ne les dégradent pas. Il faut donc récolter ces derniers et les éliminer à la fin de l’opération, alors que quand ils se sont nourris d’hydrocarbures, ils peuvent être laissés dans le sol. En dehors de Suisse, Edaphos compte se développer en France, en Belgique et au Moyen-Orient, grâce aux réseaux commerciaux de ses partenaires actifs dans le génie civil. Si les mêmes souches de champignons pourront être utilisées en Suisse, en France et en Belgique, il faudra en revanche en sélectionner d’autres pour le Moyen-Orient.

Fourmillement d’idées

Si le projet mycH2Opure n’a pas encore conduit à des applications hors laboratoire, ses promoteurs fourmillent d’idées. Des copeaux de bois sur lesquels des champignons ont été inoculés pourraient être répandus dans des fosses de bord des routes pour absorber une partie des polluants émis par le trafic. Des bacs flottants contenant une culture de champignons pourraient être placés sur les plans d’eau pollués. Des filtres à champignons pourraient être multipliés pour traiter les pollutions diffuses des cours d’eau. Ceux-ci sont en effet globalement malades, notamment à cause des micropolluants, qui pourraient être absorbés par ces filtres. Les champignons peuvent aussi être utilisés dans des sols pollués par des métaux lourds, comme les stands de tir. S’ils ne se dégradent pas, ils permettent de les immobiliser, ce qui les neutralise. mycH2Opure veut maintenant mettre cette approche en œuvre et mesurer précisément ses effets – ce qu’on appelle faire la preuve du concept. Un projet pourrait être lancé sur un stand de tir, un autre dans la région de Lille, sur d’anciens terrains miniers. François Lefort et Clément Deprade, promoteurs de cette technologie, ont la capacité de mettre en œuvre des traitements à petite échelle. De plus gros chantiers excéderaient en revanche leur capacité de production de champignons. Il faudrait alors collaborer avec des partenaires tels qu’Edaphos et sa filiale française.

Dépollution sans produits chimiques

Une technologie permettant de dépolluer des sites sans enlever le sol et «sans utiliser de produits chimiques ou d’autres produits»: c’est ce qu’affirme avoir développé Exlterra. Cette start-up soutenue par l’incubateur Fongit est basée à la fois à Genève et aux Etats-Unis. Elle s’est déjà fait remarquer par une méthode permettant d’enrichir les sols sans engrais ni pesticides, en remontant des éléments nutritifs des profondeurs grâce à de petits tubes. Elle propose également une technologie permettant de drainer des terrains, avec une approche similaire. La technologie qu’elle propose maintenant «permet le traitement de tous types de pollution des sols, qu’elles soient accidentelles ou liées à l’accroissement global de l’activité humaine sur terre», affirme l’entreprise. Elle ne donne cependant pas plus de détails pour le moment. Les premiers résultats complets seront dévoilés en avril.